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Le testament
du
P. Lacordaire

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Paris. — Imp. Simon Raçon et Comp., Rue d’Erfurth, 1.

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Le testament
du
P. Lacordaire
publié par
le Comte de Montalembert

Paris
Charles Douniol, Libraire-Éditeur
29, Rue De Tournee, 29
1870
Tous droits réservés.

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Peu de jours avant sa mort, M. de Montalembert avait préparé et décidé la publication du Testament du P. Lacordaire et de l’Avant-propos qui le précède. En livrant à l’impression son manuscrit, il s’exprimait ainsi dans une lettre du 7 mars 1870: «Je vous envoie le premier jet de l’Avant-propos que je compte mettre au Testament du P. Lacordaire, et vous prie instamment de le faire composer en toute hâte, car il y aura beaucoup à revoir et à corriger, et nous ne serons jamais prêts, si vous tenez à faire paraître ces admirables pages en même temps que la Vie de M. Foisset.» La publication du dernier écrit de M. de Montalembert a dû se faire sans qu’il ail pu corriger aucune épreuve.

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Avant-propos

I

Le 29 septembre 1861, je vis le Père Lacordaire, pour la dernière fois. Il était couché sur le lit où il allait mourir quelques semaines plus tard. Pendant les jours trop courts que je pus passer près de lui, je le pressai de recueillir ses souvenirs et de les faire mettre par écrit sous sa dictée, de façon à laisser un témoignage authentique des intentions et des convictions qui avaient dominé sa vie, dans un récit qui deviendrait ainsi son testament religieux et historique. Il écouta en si- /8/ lence les raisons que je faisais valoir à l’appui de mon désir, puis me promit de l’exaucer. Dès le lendemain de mon départ il appela auprès de lui le jeune religieux de son ordre, Frère Adrien Seigneur1, qui lui servait de secrétaire depuis deux ans, et commença à dicter ce que l’on va lire. Il poursuivit cette œuvre avec la précision et la résolution qu’il mettait en toute chose, jusqu’au 24 octobre, jour où l’intensité toujours croissante de ses souffrances l’obligea de s’arrêter, avant d’avoir accompli la tâche qu’il s’était proposée et dont il avait tracé d’avance les limites et le cadre.

Il mourut le 21 novembre sans avoir pu reprendre cette tâche. Il fut donc condamné à se taire sur les dix dernières années de sa vie. Mais ce qu’il nous a laissé suffit pour constituer un monument qui ne perd rien à avoir été interrompu par la mortel qui offre tous les grands contours de la vie peut-être la plus admirable de notre siècle.

C’est pourquoi, en présence de cet ensemble /9/ saisissant des efforts et des vues qui ont dominé presque toute la durée de son pèlerinage mortel, j’ai cru devoir donner le titre plus approprié de Testament à l’œuvre incomplète qu’il avait lui-même qualifiée d’une désignation plus modeste et plus restreinte.

J’ai entre les mains le manuscrit original de cette dictée, le premier et le seul qui ait été rédige. C’est, à mon sens, une sorte de merveille. Il ne porte aucun signe d’un travail soigné ou pénible, prémédité ou revisé à un degré quelconque. Le moribond se faisait relire chaque jour les dictées précédentes, avant de reprendre le cours de sa narration, mais ces lectures réitérées ne lui inspiraient le désir d’aucun changement. Vingt, trente, quarante pages se succèdent sans la moindre trace d’une lecture ou d’une correction. On dirait la sténographie originale et parfaitement réussie d’un discours coulé d’un seul jet, prononcé en une seule fois, par un orateur qui n’aurait eu ni le temps ni la volonté de revoir ses paroles.

Je l’ai dit ailleurs et je le répète: nées d’un véritable miracle de force morale, et dictées avec /10/ une sûreté et une rapidité sans égale pendant les derniers combats de sa vie mortelle, ces pages, dont chacune a été précédée ou suivie d’atroces douleurs, feront voir son style arrivé à la perfection et son mâle génie comme illuminé par ce terrible flambeau qu’on allume aux mourants. Il faut l’avoir vu, dit son biographe, M. Foisset, comme je l’ai vu, au moment même où de ses lèvres pâlies, il laissait tomber ces récits merveilleux, il faut avoir contemplé ce visage devenu méconnaissable aux amis les plus cbers, ce corps déjà réduit à l’état de cadavre, pour concevoir quel prodige ç’a été que le contraste d’une telle ruine physique avec une si splendide possession, dans leur plénitude, des dons les plus rares de l’intelligence. On citerait difficilement un autre exemple où éclate à ce point la suprématie de l’âme sur le corps et la victoire de la force morale sur toutes les misères de la nature.

Tout a été dit ou tout va l’être, sur le P. Lacordaire, dans les volumes de son disciple chéri, le P. Chocarne, et de son ami de jeunesse, M. Foisset. J’entends tout ce qui peut se dire d’un homme avant que tous ses contemporains aient /11/ disparu; le reste viendra quand on publiera le texte intégral de ses lettres. Mais en attendant cette révélation suprême, et comme pour en donner l’avant-goût, il est bon de le laisser parler lui-même de lui-même, comme il le voulait sur son lit de mort. Tous ceux qui l’ont connu de son vivant, tous ceux qui ne le connaîtront que par ses œuvres, admettront volontiers qu’il n’a jamais rien dit, rien écrit de plus achevé. Je ne veux entreprendre aucune comparaison avec les monuments de notre littérature, mais je crois être sûr que parmi ceux de mon siècle, si fécond en Mémoires posthumes, et même en confidences qui n’ont pas attendu le prestige de la mort pour affronter le jour, il ne se rencontre rien de pareil à cette épitaphe, burinée du premier coup pour l’immortalité, sous la forme d’un appel confiant et modeste à la miséricorde de Dieu et à la justice de la postérité.

En dehors des questions vitales abordées dans ces récits, comme des grands tableaux, si précieux pour la religion et l’histoire, où se résument des aspects si importants et si peu connus d’un passé encore bien peu éloigné, comment ne pas /12/ admirer cette évocation faite par un mourant de ces scènes de la nature qui se traduisent en paysages d’un charme et d’un éclat incomparables? On sent que ces souvenirs encadrent avec une convenance touchante la grandeur et la pureté majestueuse de ses pensées habituelles. On y respire ce calme qui a toujours exclu chez lui tout emportement, toute amertume, toute dureté. On y contemple la beauté sereine qui, jusque sur son visage, servait de parure à cette bonté où il avail toujours reconnu le don suprême et l’attrait vainqueur de l’âme.

Mais on se demandera peut-être pourquoi cette publication a tardé dix ans. Ce retard a pour cause première la disparution prématurée → Henri Perreyve de l’abbé Perreyve, à qui Lacordaire avait légué tous ses papiers comme au plus aimé et au dernier venu de ses amis. Lorsque par la dernière volonté de ce jeune prêtre, «mort dans la fleur de l’âge et de la vertu,» l’inappréciable manuscrit me fut échu, je commençais à tomber moi-même en proie à un mal incurable. De longues années de souffrance m’avaient fait perdre de vue ce dépôt sacré. Mais /13/ en apprenant que M. Foisset allait publier une biographie complète du Père, avec des extraits considérables de cette Notice, j’ai pensé que le moment était venu de la donner en entier et sans la moindre altération ou modification. Je remplis cette mission avec un respect religieux qui ne saurait se mieux manifester que par la reproduction scrupuleusement fidèle du texte.

II

Je n’ajouterai à ce texte aucun commentaire. Quand je le voudrais, mon état de ruine m’interdirait tout effort de ce genre. Mais quand même je le pourrais, rien ne m’en ferait comprendre l’utilité ou l’à-propos. Que dire à ceux que la beauté surhumaine de cette àme et de cetle parole laisseraient dans le doute ou dans l’indifférence sur la valeur d’un tel homme et d’une telle vie?

Un seul point, mais des plus essentiels, semble exiger quelques éclaircis­sements. En ces derniers temps, les événements ont changé de face, en politique comme en religion. Mais rien n’annonçait /14/ ce changement à l’époque où Lacordaire se débattait contre les étreintes de la mort. De là son silence sur tout ce qui nous agite aujourd’hui. De là l’absence complète de toute allusion, même la plus lointaine, à la situation actuelle de l’Eglise et de l’État. Mais on a le besoin, le droit, le devoir de s’enquérir de l’altitude intérieure et extérieure qu’aurait prise, s’il vivait encore, dans la double crise que nous traversons, celui que l’on s’honore d’avoir eu pour maître et pour modèle. Un tel homme ne disparaît pas sans laisser à ceux qui l’ont aimé et suivi ici-bas le désir impérieux de savoir s’ils restent ou non d’accord avec lui pendant l’intervalle, toujours trop long, mais court en soi, pendant lequel ils sont condamnés à lui survivre. Dans l’ordre politique, nul ne peut douter de la joie patriotique qui l’eût enflammé en présence de l’heureuse et pacifique révolution dont nous sommes témoins. Cette nation qui rétracte et renie sa trop longue abdication, cette grande et inespérée justice rendue aux instances et aux protestations des âmes libérales, cette graduelle, surprenante et rafraîchissante renaissance du /15/ régime parlementaire, ce printemps de la vie publique et nationale après un si long hiver, tout cela, en donnant raison avec éclat à toutes ses préférences, en justifiant toutes les appréhensions, toutes les répugnances, toutes les indignations des derniers temps de sa vie, l’eût comblé de joie. Lui qui était né, comme on va le voir, partisan de la royauté parlementaire, c’est-à-dire tempérée et contrôlée; lui qui se vantait de l’être toujours resté, même au milieu des tumultes et des illusions de la république1, eût salué avec bonheur les honnêtes gens dont l’avènement au pouvoir a ramené la probité publique de l’exil et délivré la liberté de la captivité où elle gisait ensevelie pendant dix-sept années de ténèbres et de deuil.

De celle heureuse et consolante rénovation de l’ordre politique, il aurait peut-être conclu, avec nous, à un changement plus ou moins rapproché, mais encore plus désirable et plus nécessaire dans la sphère des intérêts religieux. Peut-être aussi eût-il pensé que le mal est trop enraciné, trop aggravé pour qu’un remède radical et souverain /16/ soit facile, pour que la délivrance soit prochaine, et ne doive pas être précédée par une crise pins longue et plus cruelle encore.

Mais ce qui est hors de doute, c’est que dans la lutte qui divise et trouble aujourd’hui l’Eglise, il fût intervenu, avec la calme et intrépide franchise, avec la décision énergique et mesurée qui marquait la trempe spéciale de son âme et son caractère. Il aurait réclamé sa place au premier rang dans la crise suscitée par l’école d’invective et d’oppression qui pèse depuis trop longtemps sur le clergé de France et ailleurs. Il nourrissait depuis longtemps le pressentiment trop fidèle des périls qu’elle nous réservait, après les affronts qu’elle nous avait déjà valus, et les dix dernières années de sa correspondance portent l’empreinte foudroyante de l’horreur qu’elle lui inspirait.

Je ne prétends nullement établir quelle eût été son opinion sur la question théologique ou historique de l’infaillibilité personnelle et séparée du Pape, telle qu’on l’enseigne aujourd’hui.

J’affirme seulement que son vigoureux appui, son ardente sympathie, n’eût manqué à aucun de ceux qui ont tenu bon et qui auront à tenir encore /17/ dans la lutte antérieure et supérieure à celle question, lutte qui, loin de cesser après la définition prévue et désirée, n’en deviendra que plus ardente et plus profonde.

J’affirme qu’il eût regimbé avec non moins d’énergie que l’évèque d’Orléans ou le Père Gratry contre l’autocratie pontificale érigée en système, imposée comme un joug à l’Eglise de Dieu, au grand déshonneur de la France catholique, et, ce qui est mille fois pire, au grand péril des âmes.

N’est-ce pas lui qui se rendait le témoignage de n’avoir, «depuis le jour de sa consécration initiale à Dieu, pas dit une parole ni écrit une phrase qui n’eût pour but de communiquer à la France l’esprit de vie, mais sous des formes acceptables par elle, c’est-à-dire avec douceur, tempérance et patriotisme1

N’est-ce pas lui qui, dans une lettre mémorable, imprudemment publiée par le panégyriste de Mgr de Salmis, a le premier signalé, dans ce que nous voyons, la progéniture directe de l’école de La Mennais sous la Restauration, et qui se sentait dès lors obligé de protester contre /18/ ce qu’il appelait la plus grande insolence qui se soit encore autorisée du nom de Jésus-Christ1?

N’est-ce pas lui qui, dans le dernier écrit sorti de sa plume, a qualifie l’Etat romain de gouvernement d’ancien régime, et qui par cela seul, n’aurait jamais compris que l’on pût vouloir, comme on le prétend aujourd’hui, juger d’après cette échelle et ramener à ce type tous les besoins de l’humanité moderne?

N’est-ce pas lui qui, tout en se déclarant pour ie Saint-Siège contre ses oppresseurs, tout en professant la nécessité morale de son domaine temporel, tout en proclamant qu’il donnerait pour la Papauté jusqu’à la dernière goutte de son sang, n’est-ce pas lui qui réclamait un «changement radical dans la direction morale résumée dans ces derniers temps par → L’Univers → La civiltà cattolica l’Univers et la Civiltà cattolica2

N’est-ce pas lui enfin qui, au plus fort de l’enthousiasme libéral excité par Pie IX, m’écrivait, le 26 mai 1847, en ces termes:

/19/ «L’omnipotence papale est sans doute une expression dont on peut se servir, puisque le concile de Florence définit le pouvoir du Pape: plenam potestatem pascendi, regendi et gubernandi Ecclesiam Dei; mais déjà ces dernières expressions réduisent l’omnipotence au gouvernement intérieur de l’Eglise, et, de plus, tous les catholiques instruits savent que le Pape ne peut rien contre les dogmes et les institutions apostoliques. Mais les ignorants, qui sont nombreux, ne le savent pas. Le mot d’omnipotence se traduit dans la pensée de la foule par celui de pouvoir absolu et arbitraire, tandis que rien n’est moins absolu et moins arbitraire que le pouvoir pontifical. — J’ai sans cesse occasion de voir combien il importe de ne pas donner lieu à de fausses idées sur un point aussi important. — Le gallicanisme ancien est une vieillerie qui n’a plus que le souffle, et à peine. Mais le gallicanisme raisonnable, qui consiste à redouter un pouvoir qu’on lui présente comme sans limites et s’étendant par tout l’univers sur deux cents millions d’individus, est un gallicanismc très-vivant et très-redoutable, parce qu’il /20/ est fondé sur un instinct naturel et même chrétien. Des catholiques parfaitement romains ont défini l’Eglise une monarchie tempérée d’aristocratie, et même une monarchie représentative. Je n’ai vu nulle part qu’elle fût appelée une monarchie absolue.»

Cent autres preuves, tirées de ses discours, de ses écrits, de ses lettres, viendraient à l’appui de ce que j’affirme. — Oui, malgré les clameurs sauvages du parti qui se croit vainqueur contre tout ce qui lui résiste ou lui échappe, notre Lacordaire n’eût ni tremblé ni reculé devant lui. Il eût mérité les dénonciations et les diatribes de nos terroristes orthodoxes, au même titre que ces nobles champions de notre vieille renommée et de notre vieille éloquence qui n’ont pas voulu que le drapeau du bon sens et du bon droit restât sans défense dans la patrie de saint Bernard et de Bossuet.

Vieux compagnon de ses luttes, vieux confident de son cœur généreux, de son âme intrépide, réduit désormais à la cruelle impuissance de servir cette cause de l’alliance entre la foi et la liberté qui nous était si chère, je mentirais à ma con- /21/ science et je trahirais sa gloire si je lui refusais mon témoignage; témoignage d’autant plus nécessaire que le nombre est grand de ceux qui, après avoir compté naguère parmi ses admirateurs ou ses disciples, se montrent aujourd’hui aussi infidèles à son esprit qu’a ses exemples, pour s’enfoncer dans une inexcusable timidité, ou se retrancher dans une neutralité à laquelle personne ne croit, et que personne n’honore.

III

Un mot encore. Comment pourrais-je donner congé à ces pages sans une parole de souvenir et d’adieu pour celui dont la main mourante me les a transmises, si peu de temps après les avoir reçues de leur immortel auteur? Comment me taire, la dernière fois sans doute où j’aborderai le public sur cette apparition délicieuse, qui, à trente ans de distance, m’a fait revoir Lacordaire tel qu’il parut devant la Cour des Pairs de France, jeune, éloquent, intrépide, doux et franc, austère /22/ et charmant, mais surtout ardent et tendre, muni de cet élan fascinateur, de cette clef des cœurs, que l’on rencontre si rarement ici-bas?

Si Lacordaire avait pu terminer son récit, nous aurions à coup sûr une page incomparable sur Henri Perreyve, sur l’Être qu’il a probablement le plus aimé ici-bas. En lui étincelait un reflet de la grande âme dont il était en quelque sorte le rejeton, mais non sans qu’il fût doué d’une originalité puissante et fière qui l’eût toujours préservé d’être un copiste ou un contrefacteur.

En lui renaissait ce grand et tendre regard que nul ne saurait oublier après l’avoir ess<s>uyé, cet œil interrogateur et naïf comme celui de l’enfant, naïvement étonné des misères de l’homme, et gardant cette surprise honnête jusqu’à la fin de sa vie. Parmi tant de qualités attrayantes, je voudrais signaler surtout la charmante modestie qui se mariait si bien chez lui au courage obstiné, à d’indomptables résistances quand il le fallait. Je me rappelle encore les flots de tristesse, que des jugements trop élogieux, des pronostics trop favorables soulevaient dans son âme sincèrement humble et résolûment sacerdotale.

/23/ Lui aussi a connu tout ce que l’arrogance de la secte dominante peut fomenter de dédains et de soupçons, tout ce qu’elle sème d’embûches et d’obstacles dans le champ de la vérité. Lui aussi a eu besoin que la main de deux archevêques de Paris s’étendît sur sa jeune tête pour n’être pas victime de l’ostracisme à l’aurore de sa vie.

Vivant ou mort, celui qu’il appelait son bienaimé maître l’a toujours soutenu, enflammé, dirigé par son exemple.

Déjà mortellement atteint, et sur le point de nous être dérobé pour le ciel, il écrivait: «Je passe des heures, le soir et bien avant dans la nuit, avec le Père Lacordaire. Nous conversons. Je vois cette belle tête, humble et libre. Je lui renouvelle la promesse de vivre et de mourir dans le culte de ce qu’il a aimé.»

Tous deux ont vécu pour la gloire de Dieu, pour le salut des âmes et n’ont vécu que pour cela. Tous deux ont parlé aux hommes avec une conviction sincère comme la lumière du jour, et avec cet honneur exquis dans les choses de Dieu que rien ne peut remplacer. Tous deux ont noblement servi la vérité, combattu l’ignorance /24/ sans la tromper, réfuté l’erreur sans l’insulter, réprouvé l’esprit de violence dans l’Église; tous deux ont détesté l’injustice altière et méprisante, les triomphes du mensonge; tous deux ont compati de toute l’énergie de leur tendresse aux victimes de tant de cruelles inintelligences, de tant de douleurs méprisées, de tant de muets supplices, de tant d’immolations cachées sous les victoires et les prospérités du monde; tous deux sont morts, comme le voulait le plus jeune des deux, «avec la joie sacrée de savoir que l’on n’a jamais faille moindre mal à une seule âme1

J’ai donc vu deux fois, de mes yeux indignes, et de tout près, ce spectacle singulier, que l’Eglise de Jésus-Christ a pu seule produire, du prêtre jeune et imposant, attrayant et austère, virginal et viril, amoureux de tout ce qui est bon, grand, saint, généreux; du prêtre tel qu’il le faut à notre siècle, homme de courage, de liberté et d’honneur, en même temps que de ferveur, de pénitence et de sainteté. J’y pense avec confusion, puisque j’en ai trop peu profité, mais avec une admiration toujours /25/ renaissante, avec une tendresse toujours intime et intense. A la fin d’une trop longue vie, écoulée dans des milieux bien divers et des fortunes bien contraires, je veux confesser tout haut que c’est là le plus beau spectacle qu’il m’ait été donné de contempler ici-bas.

Pauvre feuille, tombée et séchée de la forêt où ils aimaient à errer, pauvre et décrépit débris d’un passé où l’avenir saura bien distinguer l’ombre et la lumière, que ne puis-je faire vibrer encore un écho de ces voix célestes et offrir ainsi aux âmes troublées ou attristées par les misères de notre temps, comme de tous les temps, les exemples et les souvenirs qui ne cessent de me consoler moi-même et de m’élever vers un monde meilleur!

Ch. de Montalembert.

[Note]

[Nota a pag. 8]

(1) Aujourd’hui vicaire de la paroisse de Saint-Philippe du Roule, à Paris. [Torna al testo ]

[Nota a pag. 15]

(1) Voy. plus loin, page 112 de la Notice. [Torna al testo ]

[Nota a pag. 17]

(1) Lettres a des jeunes gens, 7e édition, p. 24. [Torna al testo ]

[Note a pag. 18]

(1) Vie de Mgr de Salinis, par M. l’abbé de La Doue, p. 257. Paris, 1864. [Torna al testo ]

(1) Lettre du 11 février 1860. [Torna al testo ]

[Nota a pag. 24]

(1) Dernière page du dernier sermon de l’abbé Perreyve, prêché à la Sorboone le 29 mai 1864. [Torna al testo ]

Note del curatore

Henri Perreyve 1831-1865, prete francese, cattolico liberale. Fortemente influenzato dal fondatore della Société de Saint Vincent de Paul, Frédéric Ozanam, conosce il Lacordaire di cui diventa grande ammiratore. Oppositore di Napoleone III. Dal 1863 succede al Lavigerie come docente di Storia Ecclesiastica alla Sorbona.
Il Lacordaire morendo gli lascia in eredità tutti i suoi scritti; H.P. pubblica col titolo Lettres du R.P. Lacordaire à des jeunes gens le lettere ricevute dal suo grande amico. Nel 1863 abbandona la vita pubblica per malattia, e muore di tubercolosi all'età di 34 anni. Torna al testo ↑

L’Univers, quotidiano fondato nel 1833 dall'abate Jacques Paul Migne, nel 1838 fu rilevato dal Montalembert e divenne l’organo del “partito cattolico” francese; dal 1840 cominciò a collaborarvi il cattolico ultramontanista e liberale Louis Veuillot, polemista vivace e sostenitore della libertà d’insegnamento. Torna al testo ↑

La civiltà cattolica, quindicinale fondato nel 1850, era il principale organo di informazione della Compagnia di Gesù. Torna al testo ↑