De la propagande musulmane
en Afrique et dans les Indes

Paris
De Soyr et C°, Imprimeurs

Rue de Beine, 36

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De la propagande musulmane
en Afrique et dans les Indes

Paris
Au Bureau Du Correspondant
Rue de Tournon, 29

1851

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Eu livrant à la publicité l’exposé que l’on va lire, nous avons cru faire une chose intéressante et utile pour la civilisation européenne. Originairement écrit dans une langue étrangère, ce document est destiné à appeler l’attention du public politique et religieux sur un ensemble de faits trop peu connus ou trop négligés1. C’est l’œuvre d’un voyageur non moins distingué par son esprit que par son caractère élevé, et qui a l’avantage inestimable d’avoir parcouru les régions de l’Afrique orientale et vu par lui-même la plupart des choses dont il parle. Dévoué aux intérêts de la religion et à ceux de l’influence française, qui, en Afrique et en Orient surtout, sont en effet inséparables, c’est l’attention de la France qu’il a voulu d’abord éveiller sur des éventualités dont on tient si peu de compte, ou, pour mieux dire, auxquelles on ne parait pas songer en Europe.

/6/ Étranger au langage de la diplomatie et de la politique, il s’exprime avec un zèle qui, aux yeux de quelques personnes, semblera peut-être trop ardent; mais on reconnaîtra certainement, sous une expression quelquefois exagérée, un sentiment général profondément vrai et qui pourrait devenir fécond en s’associant aux spéculations de la politique active. Aussi est-ce avec empressement que nous nous sommes rendu au désir qui nous a été exprimé de plusieurs côtés, en reproduisant dans notre langue ses vues et ses considérations sur un sujet si intéressant, bien que sur quelques points secondaires nous ne fussions pas disposé à être complètement de son avis. Du reste, nous savons personnellement que l’auteur, loin d’avoir la prétention d’imposer sa manière de voir, appelle l’examen et le concours de tous ceux dont les observations et les lumières pourraient contribuer à l’étude et à la défense de ces grands intérêts de la religion et de la civilisation dans les pays musulmans.

P. Faugère.

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Progrès
de la propagande musulmane
en Afrique et dans les Indes.

Ou croit généralement que la politique des sectateurs de Mahomet est morte avec le XVIIIe siècle1 et que la grande famille des fils du Coran, la plus nombreuse2 qu’il y ait dans le monde, après la famille chrétienne même restreinte au seul catholicisme, est en pleine décadence aujourd’hui, au point de faire espérer sa ruine totale, au moins dans ce sens que nous n’avons plus à craindre de voir se reproduire les terribles /8/ scènes du moyen âge, et que même elle est hors d’état de reprendre la moindre influence politique pour se faire respecter par nous. Grave erreur, et il faut s’étonner qu’elle ait pu s’enraciner parmi nous, avec notre esprit si positif et nos si grandes connaissances géographiques.

Comme Constantinople est le siège du gouvernement musulman1, le plus fort qu’il y ait, le mieux armé à l’européenne, le plus voisin de l’Europe et qui, à une autre époque, a fait sentir la force de ses armes à l’Europe, chacun y dirige ses regards; et du peu de puissance de Constantinople, considérée comme centre, on tire des conséquences plus désavantageuses encore pour tout le reste de la secte anticivilisatrice de Mahomet. Comme la politique de la Porte depuis un siècle, à Constantinople, s’est trouvée obligée de compter avec la moindre des puissances civilisées, chacun a cru que le grand colosse élevé par Mahomet, colosse qui, à l’inverse de celui que vit Nabuchodonosor2, a ses pieds faits d’or et sa tête d’argile, était enfin complètement abattu. Mais la politique qui poursuit une voie idéale, qui est fille de la pensée et non de la force, a sa vie, son existence sur un point bien éloigné du Bosphore. Son foyer est le temple de la Kabba, à la Mecque3; c’est là qu’elle vit et se dé- /9/ veloppe de façon à menacer de nouveau et à surprendre un jour le monde.

Chacun sait que la Mecque, en Arabie, est le lieu où l’islamisme prit naissance, quand Mahomet arbora, pour la première fois, l’étendard de l’islamisme pour détruire les idoles adorées dans le temple antique, vulgairement considéré comme bâti par le patriarche habitant les forêts, Ismaël, ou au moins par ses descendants. Aidé par l’arianisme1, Mahomet fit sentir le poids de son fléau à une partie de l’Orient chrétien, mais divisé et hétérodoxe2.

Quand le mahométisme se fut établi, la Mecque resta comme le point /10/ central du monde1 pour le croyant musulman, obligé à considérer ce lieu comme le trône de la divinité2, le siège de la religion3, où chacun doit aller en pèlerinage une fois dans sa vie4, et vers lequel il doit se /11/ tourner dans tous les actes de sa superstitieuse dévotion1. La Mecque, comme patrie2 et tombeau de Mahomet et de beaucoup d’hommes célèbres dans l’histoire religieuse des mahométans, a toujours accru de plus en plus son prestige sur la foule immense de ses fanatiques adorateur. Le grand nombre de privilèges3 accordés successivement à ce lieu, la centralisation de tout le mouvement religieux d’une secte co- /12/ lossale et marchande1 ont dû y attirer une population qui est comme l’élite du fanatisme, ainsi que des richesses considérables2. Par suite, la Mecque est naturellement devenue le siège de l’idée musulmane, l’université du Coran3. L’aristocratie musulmane4, qui est là fort puissante et fort riche, composée en majeure partie de gens qui ont pris en /13/ dégoût les gouvernements de la Porte et de l’Égypte, surtout à cause de l’introduction des nouveau systèmes de civilisation1, et parce qu’ils voient que l’Orient est entraîné par le courant du progrès européen, cette aristocratie a songé à se faire une politique à elle2, pour préparer à l’islamisme un nouvel éclat en Afrique et dans les Indes.

Les moyens dont la Mecque dispose pour propager sa secte superstitieuse dépassent tous nos calculs. Cent mille pèlerins3 qui, tous les /14/ ans, viennent des quatre parties do monde1 se prosterner devant le tombeau du prophète, y prennent le mot d’ordre et pour la plupart en reviennent missionnaires du Coran, missionnaires qui en Orient prêchent la réforme et la révolte contre les gouvernements progressistes de la Porte et de l’Égypte; font dans l’Inde une politique contraire aux Européens, et, en Afrique, préparent le grand empire à venir.

Il est inutile que je m’efforce de prouver comment l’esprit de radicalisme musulman, parti de la Mecque2, se dirige vers l’Orient pour y détruire le progrès européen à peine introduit et considéré comme un commencement d’apostasie dans ces pays. Les nombreux complots découverts à Constantinople, les révoltes partielles qui se sont succédées à Damas, dans le Liban et en Syrie; les derniers massacres d’Alep, preu- /15/ vent assez combien la propagande de la Mecque est toujours puissante dans ces pays.

En Égypte, l’esprit vigoureux du célèbre Méhémet-Ali-Pacha tint, pendant bien des années, ce feu sous la cendre1, mais il ne réussit point à l’éteindre; les vœux ou plutôt les intrigues de la politique de la Mecque, Dieu le sait2, réussirent à faire passer le pouvoir de ce prince dans les mains du rejeton le plus fanatique et en même temps le moins digne de l’illustre défunt. Abbas Pacha partit de la Mecque3 pour aller prendre possession de son gouvernement, après avoir promis d’effacer jusqu’au nom de chrétien de la terre des Pyramides, et il fut porté comme en triomphe par les bateaux à vapeur d’une puissance chrétienne4!... /16/ Mais la politique apportée de la Mecque par le nouveau pacha n’était pas de nature à se laisser acheter par ces flatteries...

Deux mois ne s’étaient pas encore écoulés que déjà le nom glorieux de son grand-père était, de son vivant même, couvert d’anathèmes; que déjà on avait fermé toutes les écoles du pays1, cette unique espérance de régénération pour l’Égypte; les élèves envoyés en Europe rappelés, les promoteurs2 du progrès européen chassés, les malheureux /17/ Cophtes hérétiques1, cet unique vestige de la race autrefois maîtresse du pays, aujourd’hui opprimée, sans protection et menacés d’être exilés dans le Sennaar. L’année ne s’était pas encore écoulée que déjà on comptait sept cents employés destitués2, et un grand nombre assassinés, selon l’usage de la barbare procédure musulmane3, dans de semblables circonstances; et cela pour tenir la promesse faite à la Mecque4 de se débarrasser de tous les chrétiens et de former une administration musulmane. Plusieurs faits prouvent que c’est là l’unique motif de cette conduite.

De pauvres chrétiens opprimés ayant montré la faiblesse d’abjurer /18/ leur foi, furent aussitôt élevés en grade et en solde1. Dieu veuille que la fuite récente du ministre Artin-Bey, attribuée à un grave manquement de fidélité, ne soit pas une oppression préméditée du juste! Pour qui connaît le caractère faux du musulman, la facilité avec laquelle il atteste bassement ce qui est faux2, et le jure pour un misérable intérêt ou par fanatisme de religion, cette supposition ne paraîtra pas exagérée.

Chez les sectateurs du Coran, l’honnête et le juste ont une latitude plus grande que la distance des deux pôles: le point de départ est, pour la plupart, le fanatisme, l’intérêt, la soumission à un despote, maître absolu des biens et des personnes.

La fuite d’Artin-Bey serait-elle par hasard un aveu indirect de sa faute? Dans les pays musulmans, quand l’intrigue, la politique, le prince s’attaquent à quelqu’un, l’innocence et la justice ne sont pas une escorte suffisante pour le mettre en sûreté, comme dans les pays chrétiens; là, il n’y a pas d’autre remède que la fuite; il y a bien des années, si un autre ministre2, également chrétien, avait fui, il n’aurait pas été une /19/ victime innocente, comme il le fut certainement, et cela sous le tant vanté Méhémet-Ali. Pour moi, je puis assurer que pendant mon séjour en Égypte, j’ai vu des choses qui fortifient de beaucoup ma supposition. Ah? dira-t-on maintenant que la politique de la Mecque est morte en Orient?

Et dans les Indes que fait-elle? J’ai le regret de ne pouvoir en dire que peu de choses parce que je n’y suis pas allé; j’en dirai cependant assez pour prouver que la Mecque n’a pas perdu de vue ce pays si riche et si important, son grenier et son marché. Mais, dira-t-on avant de me laisser poursuivre, que pourra jamais faire le faible Arabe1 contre le plus considérable des empires? Qu’on se rappelle ce que j’ai déjà dit une fois: que la politique est fille de l’idée et non du canon; qu’on se rappelle qu’il y a un siècle la révolution républicaine n’était qu’une simple idée, et les rois qui gouvernaient avec puissance la politique du monde se riaient de ceux qui, dans les sociétés, faisaient des projets de révolution et de ceux qui, dans les écoles, mettaient en question l’autorité des rois et dissertaient sur la souveraineté du peuple. Au moment où j’écris, cette idée est maîtresse des canons, de la politique, et se fait des rois un jouet ridicule2. Cela noté en passant, je dis que l’idée po- /20/ litique de la Mecque a gagné en peu de temps la moitié de la population indienne1, comme chacun peut s’en assurer en examinant les faits, et qu’elle fait de grands efforts pour gagner la majorité, laissant de côté une autre partie de la population divisée en mille croyances et en castes ennemies entre elles. Toute cette immense famille de prosélytes de la Mecque étudie le Coran où on ne prêche pas autre chose que la croisade2 contre les Européens infidèles. Quand la maxime du Coran qui les fait maîtres de nos richesses et de nos canons dans ces pays, aura bien pénétré dans les esprits et aura passé dans le sang national, alors, /21/ sans doute, on cherchera à gagner le paradis qui, dans le Coran même, est promis à qui fait la guerre sainte et tirera l’épée contre l’infidèle pour l’exterminer sans rémission.

Il ne faut pas nous flatter que la faiblesse des disciples du prophète arabe ne leur permette pas de faire de tels calculs et encore moins de les exécuter; il ne faut pas tant de combinaisons, l’opération est très simple: l’instinct naturel qu’a toute société de se conserver et de s’étendre suffit pour l’accomplir. D’ailleurs, la politique de la Mecque n’est pas si dépourvue d’habileté; ce qu’elle a fait jusqu’ici et ce qu’elle continue à faire en est une preuve suffisamment évidente. Est-ce peu pour elle d’avoir déjà dans l’Inde plusieurs provinces et plusieurs princes parmi ses adorateurs? La gloire d’être visitée tous les ans par plus de dix mille pèlerins de cette contrée, qui sont en grande partie de riches négociants, est-elle si peu de chose?

Mais il y a bien plus: pour savoir ce qu’il en est, il faudrait se présenter comme voyageur désintéressé et détaché de toute politique européenne, et puis écouter adroitement quelques-uns de ces chefs, dissimulant et les excitant à parler; on apprendrait qu’il y a là des missions, des présents envoyés, un esprit de conduite et tout ce qui caractérise l’action de nos grands diplomates à l’extérieur.

Une fois que quelqu’un faisait semblant de désapprouver les Musulmans, de ce que dans les Indes ils prennent du service sous le drapeau d’une puissance européenne et chrétienne. — Eh! que vous avez peu d’expérience dans ces choses, répondit un de ceux-ci1. Je voudrais que tous les /22 / nôtres prissent du service afin de devenir de bons soldats; ce sont ceu-là qui arboreront l’étendard du prophète dans Aden et dans Bombay. Le moment n’est pas encore venu parce qu’on ne peut pas encore former une marine pour défendre nos mers: si les choses marchent du même pas1, espérons, d’ici à dix ans, une époque meilleure, où, de tous les côtés, sortiront des soldats pour combattre les infidèles. Ne savez-vous pas encore que les navires et les forteresses ne se prennent pas avec les canons mais avec de l’argent? En ce moment, l’argent, les hommes et les munitions se préparent, et puis le temps viendra pour les descendants de Mahomet2. Les plus grandes affaires se font dans les Indes, /23/ les plus grandes fortunes sont toutes avec nous. Quel que soit leur secte. Indiens, Arméniens et Persans auront un seul drapeau1 quand il s’agira de chasser les Francs.

Ainsi discourait un politique de la Mecque; et je vous assure que j’ai moi-même entendu des choses qui, au premier abord, m’avaient paru puériles, mais dont quelques faits particuliers m’ont plus tard démontré toute la réalité. N’est-ce donc pas une politique active que celle qui part de la Mecque pour corrompre les Indes? Mais quittons ce pays où la probabilité des événements est plus reculée et plus lointaine.

C’est l’Afrique qui est le champ libre où la politique mahométane fait de grands projets et des progrès encore plus grands; et je puis en parler d’une manière plus positive. Toute cette péninsule qui forme un monde auquel on attribue quatre-vingts millions d’habitants, se trouve dès à présent presque entièrement dominée par la politique de la Mecque, et son commerce est pour ainsi dire sorti des mains de toute autre nation pour passer dans celle des musulmans; ils y possèdent presque sans contestation le monopole de l’instruction et celui du commerce2. A l’exception de quelques faibles parties de territoire colonisées par les Européens, et /24/ conservées par la force des armes et par des flots de sang chrétien, tout le littoral de cette partie du monde est entièrement inaccessible aux Européens, soit missionnaires, soit commerçants.

Entièrement composée de missionnaires négociants, la propagande de la Mecque, afin de jouir du monopole du commerce sur toutes les côtes de l’Afrique, a établi un islamisme tellement persécuteur et intolérant, basé sur de tels préjugés1 contre la race européenne civilisatrice2, /25/ qu’il est impossible même de s’en approcher. Qui a parcouru la côte méridionale et orientale, du Cap jusqu’à Suez, pourra attester ce que je dis. La partie occidentale jouit d’un sort un peu meilleur dans les lieux possédés et gouvernés par les nôtres; hors de là, sa situation est encore plus misérable qu’ailleurs. L’Égypte, comme gouvernement allié, nous ouvre les portes de la région septentrionale pour remonter le Nil jusqu’au Sennaar. Mais malheur à ceux qui cherchent à s’écarter de la ligne centrale, siège des gouvernements respectifs: le sort de la mission de Mgr Cazolani et de l’intrépide P. Rillo en sont la preuve. La raison en est manifeste: c’est que toutes les populations de ce littoral et de la /26/ région du Nil sont musulmanes et subissent l’influence de la politique apportée de la Mecque par les missionnaires et les pèlerins.

Ce qui reste de populations non encore musulmanes se réduit à quelques principautés dans le centre de l’Afrique situées des deux côtés de l’équateur, qui sont encore païennes, ou plutôt déistes matérialistes, parce qu’elles ne connaissent pas le vrai Dieu, et sont sans éducation et sans religion positive; ensuite à la chrétienté de l’Abyssinie, qui comprend environ deux millions, et, enfin, au petit nombre de Cophtes de la basse et de la haute Égypte, qui, bien comptés, ne montent pas à cent mille. Les catholiques des colonies peu nombreuses et les missions ne peuvent encore atteindre un million et sont séparés par des distances énormes.

Les politiques de la Mecque comprennent très-bien que l’Afrique ne pourra jamais faire un fort parti musulman tant que les petites principautés du centre ne seront pas musulmanes, parce que le littoral sans l’intérieur ne se compose que de fractions qui ne pourront jamais se réunir, pour constituer une force nationale; ils font donc tous leurs efforts pour empêcher d’y pénétrer la mission catholique, qui peut seule paralyser leurs plans, et pour y introduire leur propagande.

Les trames ourdies contre les missions sont incroyables; mais les efforts qu’ils font pour réaliser leurs desseins le sont encore plus. Leurs missionnaires couvrent par milliers la surface de ces pays; l’intérêt du négociant s’ajoutant au caractère du missionnaire, les rend fanatiques et puissants. Ensuite la facilité de faire des prosélytes, sans la peine de les instruire, en répandant quelques préjugés qui les flattent et en n’imposant aucune loi à leurs passions sans frein, fait que leur mission, d’un côté, répond au besoin naturel d’une religion, et, de l’autre, consacre une liberté perpétuelle dans leur corruption. Aussi cette mission a un tel succès parmi ces peuples dégénérés que l’on peut craindre qu’ils ne /27/ soient bientôt tout à fait conquis. L’Abyssinie, comme chrétienne, est la seule porte qui soit encore ouverte aut Européens1; l’Abyssinie et le pays Galla est le lieu de l’Afrique où le sol est le plus riche2, le climat peut-être le plus tempéré et le plus salubre du monde3; la race la plus forte qu’il y ait en Afrique, la plus développée et la plus capable4, la situation politique la meilleure de toutes, relativement à la Mecque5 et au reste de l’Afrique.

/28/ Ne croyez pas que toutes ces observations aient échappé aux politiques musulmans; ils ont compris mieux que les Européens l’importance politique de l’Abyssinie. Les démarches auxquelles ils se livrent1 pour éteindre dans ce pays le Christianisme, qui est l’unique obstacle à leur action comme il est notre ressource, en sont une preuve invincible. Nous ne voulons pas décrire ici l’état de cette pauvre chrétienté, qui court à sa perte et se trouve menacée d’être absorbée par l’ennemi et le rival contre lequel elle a combattu courageusement huit siècles pour conserver sa foi en péril2. La trame est si bien ourdie, que la pauvre Abyssinie, sans s’en apercevoir, est sur le point de tomber irrémissiblement dans les mains de la politique musulmane, si elle n’est sauvée de ce grand malheur par la mission catholique, qui est elle-même persécutée3.

/29/ Il est vrai que la plus grande partie des princes, et on peut ajouter du peuple du véritable territoire de l’Abyssinie, sont encore chrétiens; mais à quoi cela sert-il, si la direction des affaires est entre les mains de ceux qui s’entendent avec la Mecque? Le Ras, chef et comme dictateur des principautés abyssiniennes, né et élevé dans la religion musulmane, s’est fait chrétien pour occuper le trône de Tabor; mais toujours musulman par le cœur, il semble destiné à accomplir la ruine de ce pays. D’accord avec quelques missionnaires de la Mecque, il trahit cette nation avec la plus grande hypocrisie. Pendant que, dans les principautés gouvernées par des musulmans, ses sujets, il permet et favorise la plus dure oppression contre les chrétiens1, dans les pays complètement /30/ chrétiens, les musulmans jouissent de la même faveur, sont admis aux premiers emplois1, construisent des mosquées, font des prosélytes, même par la violence et avec le bâton. En un mot, à l’heure qu’il est, les missionnaires de la Mecque ont en Abyssinie le monopole de la politique, du commerce et de toutes les affaires qui se font dans ce pays2.

Quelques princes, qui ont des sentiments vraiment chrétiens et opposés à ceux-là, connaissant la situation périlleuse de leur patrie et les trames ourdies contre elle, font des efforts impuissants pour combattre ce parti, déjà trop formidable. Malheureusement le Christianisme lui-même, tombé et privé de toute instruction depuis plus de huit siècles, cède facilement3; le clergé, hérétique, grossier et privé de toute cul- /31/ ture, trompé bien souvent par des vues matérielles, et sans aucune considération, seconde tous les mouvements de son ennemi1.

La mission catholique, parce qu’elle est seule capable de sauver le pays d’une si fatale ruine, rencontre des obstacles soulevés en grande partie par la politique dont nous parlons2. Je me trouvai à Suez avec quatre missionnaires en route pour l’Abyssinie; un cri s’éleva parmi les principaux habitants, et dans le divan même du gouverneur, le jour de la grande fête qui suit le Ramadan. « L’Abyssinie, disait-on, est un pays qui dépend du pachalik de la Mecque, et à cause de cela consacré à l’islamisme. » A Djedda, le pacha ayant donné à un de ces /32/ missionnaires une forte recommandation pour Massoua, place dépendante de Djedda, on cria à l’apostat, au traître.

En Abyssinie, à la vue d’une population chrétienne et encore forte, j’ai cru quelque temps me trouver tout à fait hors de l’influence des politiques de la Mecque; mais j’ai eu bien vite des raisons de me détromper, dans le long voyage que j’ai fait dans l’intérieur, en voyant la grande quantité de musulmans répandus dans ces pays chrétiens, leur supériorité en richesses et en intrigues. En passant dans beaucoup de principautés Galla, où au milieu de la population musulmane il y a tantôt un tiers, tantôt moins de chrétiens, j’y ai vu le gouvernement entièrement dans les mains des missionnaires mahométans, qui, par l’oppression et par les moyens les plus injustes, contraignent les peuples à embrasser leur superstitieuse croyance.

J’ai dû surtout m’en convaincre par ce qui est arrivé à un missionnaire, à la cour même du Ras, où il resta cinquante jours traité en grande cérémonie. Lorsque après de longues conférences avec ce prince, dévoué à la politique musulmane, conférences dans lesquelles ce missionnaire s’efforça de lui faire connaître le grand dommage causé à la chrétienté de ces pays par son système musulman de gouvernement, voulant à la fin essayer de parler fortement à son cœur, il se jeta à ses pieds pour implorer un peu plus de tolérance1 et de liberté pour les chrétiens Galla, gouvernés par des princes musulmans, ses inférieurs, et pour réclamer qu’usant d’un peu plus de justice, il plaçât des princes chrétiens à la /33/ tête de toutes les portions chrétiennes du pays. Il éluda toutes les demandes que lui faisait ce missionnaire d’une manière si touchante, en disant, avec une sorte de franchise, que lui aussi voulait le bien et la tranquillité de son pays...; que, dans ses affaires, il prenait conseil d’hommes éminents en doctrine et en sainteté, avec lesquels il désirait que ce missionnaire se mit lui-même en rapport. Chose incroyable! les personnages dont il parlait étaient deux vieux musulmans fanatiques, missionnaires de la Mecque, dont l’un est célèbre par son très-grand âge, qui fait croire à tous ces imbéciles qu’il a plus de trois cents ans, et l’antre accomplit le miracle de vivre sans boire ni manger. « Quand j’appris cela, me disait ce missionnaire, le cœur me manqua, et je n’eus pas le courage d’aller plus avant; je me reconnus pour vaincu par les manœuvres de la Mecque qui, à force de présents, est parvenue à gagner ce prince souverain de toute l’Abyssinie. »

Comme l’Abyssinie dépend de l’Église cophte d’Égypte, et que le patriarche de cette Église a sa bonne part d’influence dans les destinées de l’Abyssinie et dans la persécution qu’y souffre la mission catholique, ce missionnaire dirigea ses vues vers l’Égypte1, dans l’espoir d’améliorer la position de la mission, du moins de ce côté-là; mais combien il se trompait! Cette branche même de la chrétienté, qu’il avait d’abord /34/ considérée comme une troisième ressource pour sauver l’Afrique de l’invasion musulmane, n’est point exempte des menées et des intrigues de la politique de la Mecque.

En effet, ce dernier vestige de la nation la plus historique du monde, humilié et avili pendant des siècles sous la servitude du despotisme cruel et barbare des Arabes, a tout à fait perdu le sentiment de la vie nationale; il n’a plus la conscience d’une existence qui lui soit propre, et encore moins l’idée d’une régénération future; il vit de la vie même de ses oppresseurs, et n’a plus de force que pour sentir les douleurs de son agonie mortelle. La race cophte, vraie race égyptienne, ira pour toujours se perdre dans les flots de la population arabe, qui, comme les sauterelles, ravage et détruit tout ce qu’elle touche, si une nation amie ne se hâte de lui tendre la main et de la sauver. Les malheureux Cophtes marchent rapidement à la destruction; un très-grand nombre passent chaque année à l’islamisme1 tantôt cédant à l’oppression d’un ennemi despotique, tantôt séduits par l’espérance d’un emploi, tantôt entraînés par le désir de faire un mariage qui leur plaît. Le clergé, tombé lui-même dans la dernière ignorance, dans la torpeur et dans l’avilissement, terme où vont finir toutes les hérésies chrétiennes, ne pense plus qu’à lui-même; jaloux de conserver pour soi de vaines apparences, d’accord avec un gouvernement qui l’aime comme on aime une proie, il en seconde l’action destructive.

Voilà jusqu’où va le pouvoir de la Mecque, voilà à quoi se réduisent les ressources que nous avons encore pour sauver l’Afrique entière d’une ruine irréparable, qui menace de la soustraire pour toujours à notre in- /35/ fluence, de la réduire à jamais à l’état le plus sauvage, le plus malheureux, le moins utile pour elle-même et pour le reste du monde civilisé, si encore elle ne menace pas de nous susciter une rivale éternelle, capable de renouveler les scènes douloureuses et les luttes sanglantes de l’histoire d’Orient.

Il est permis, d’après l’état où est actuellement l’Afrique dans les pays ou l’islamisme est maître et gouverne avec une politique indépendante de l’Europe, de prédire ce que sera ce pays quand il sera entièrement soumis et gouverné uniquement par la législation et la politique du Coran; toute espérance d’avenir sur ce beau pays serait alors tout à fait vaine, et il n’y aurait plus qu’à y renoncer.

Si quelques pays de la frontière et quelques principautés de l’intérieur, quoique faibles encore et sans l’appui d’aucune puissante nation, sont si fermes dans leur système d’intolérance absolue qu’il nous est tout à fait impossible d’y pénétrer sans nous exposer à une mort certaine, que sera-ce quand toute l’Afrique n’aura qu’un même sentiment national uni au même système? Parlons plus clairement encore: si aujourd’hui, nous Européens, malgré la connaissance certaine que nous avons de l’impuissance actuelle dans laquelle sont les côtes d’Afrique de lutter avec l’Europe; si, dis-je, nous craignons d’en approcher seulement, et si cette crainte suffit souvent pour paralyser de la part même des gouvernements certaines opérations, qui cependant seraient non-seulement généreuses et excellentes, mais justes et demandées par la régénération tant religieuse que civile de ces peuples, et bien souvent même commandées par la défense sacrée de leurs sujets outragés1, /36/ que dirons-nous et que ferons-nous quand toute l’Afrique, remuée à la voix de la Mecque, de cette cité mère des barbares, qui chante dans les jours solennels, en signe de triomphe sur nous, que depuis huit siècles aucun des nôtres n’y a mis le pied; quand l’Afrique courra en masse de tous côtés aux armes, pour faire la guerre aux enfants immondes du Christ et de la civilisation européenne?

Que dira alors la malheureuse Europe, peut-être plus divisée chez elle et moins puissante, comme il y a tout lien de le craindre? Que deviendra-t-elle, atteinte de la corruption fatale qui déjà aujourd’hui met en doute le but vers lequel tend le progrès actuel?...

Cependant on marche vers le précipice; chaque jour qui passe éloigne de nous l’Afrique et en rapproche la Mecque, et nous menace de cet avenir enrayant. Ce ne sont pas des paroles, mais des faits. L’Afrique, sur quatre-vingts millions d’habitants, en compte déjà plus de cinquante qui sont musulmans fanatiques et qui travaillent sans relâche à l’œuvre dont nous parlons, qui sont déjà maîtres de tout le littoral à une distance plus ou moins avancée vers l’intérieur, et, ce qu’il y a de plus fâcheux, ils sont maîtres de tous les ports et peuvent nous empêcher de faire aucune opération de commerce avec l’intérieur, où existe encore pour nons un fonds d’espérance. Les progrès que font journellement des milliers de missionnaires mahométans négociants, qui travaillent sans relâche, sont incalculables; et dans le court espace de deux années, j’ai vu des principautés entières passer à l’islamisme, et j’ai déploré en /37/ même temps l’apostasie de plusieurs pays entiers de l’Abyssinie, qui ont fait de même.

Ne vous flattez pas de la vaine espérance que les colonies qui sont en voie de progrès dans la Barbarie, en se civilisant, présenteront d’ici à peu de temps, non-seulement un obstacle aux invasions de l’intérieur, mais ouvriront la voie à de nouvelles conquêtes. Plût à Dieu qu’il en fût ainsi! Mais la civilisation de la Barbarie est-elle un fait certain, prochain, et sur lequel on puisse compter? En vingt années d’une colonisation soutenue au prix du sang de nos frères, quel résultat avez-vous obtenu dans la masse du peuple? Est-il devenu chrétien, au moins en partie? Les masses sont-elles devenues moins fanatiques et moins attachées aux intérêts politiques de la Mecque? Un fait que je vais vous raconter vous tirera d’erreur à cet égard.

Le 1er octobre 1846, je me trouvais dans le petit poit de Tor, dans la mer Rouge, sur une barque frêtée à Suez pour moi et pour d’autres voyageurs. Près de la mienne se trouvait à l’ancre une grosse barque chargée d’environ deux cents pèlerins de la Mecque, dont une bonne partie étaient algériens, toutes personnes qui voyageaient avec un passeport français, et qui plus est, avec des secours que le gouvernement français accorde aux pèlerins musulmans; toutes personnes que j’avais vues pour la plupart à Alexandrie venir au consulat, en toute humilité, prendre leurs passeports et recevoir leurs subsides. Me voyant près d’une foule fanatique et insolente qui aurait pu me faire quelque insulte, je crus devoir élever, moi aussi, le drapeau français, pensant me réfugier sous la protection de la nation française; mais je m’étais trompé. A peine virent-ils ce pavillon, que, plus que les autres possédés de l’esprit de Mahomet, les Algériens commencèrent à blasphémer contre lui, et je fus obligé d’abaisser le pavillon pour ne pas m’exposer à une scène douloureuse dans un lieu où je n’aurais trouvé aucun appui pour dé- /38/ fendre l’honneur de la France: l’on voit combien les Algériens sont devenus affectionnés...

Sachez que le musulman ne pourra pas se dire civilisé et ami tant qu’il n’aura pas abandonné sa foi, source de toute barbarie et de toute cruauté; sachez que le musulman est capable de rester un siècle sons la domination d’une puissance conquérante, simulant la fidélité et l’amitié la plus sincère, puis de faire des Vêpres siciliennes dès qu’il connaîtra notre faiblesse et notre impuissance. Le Coran, qui avec son fatalisme le prosterne bassement à vos pieds quand il est vaincu par la force, allume ensuite son zèle dans le moment opportun, appelant héros du paradis celui qui tue et vainc l’infidèle, et octroyant un plein droit sur la propriété de l’ennemi de sa foi. L’histoire vous offre la preuve de ce que je dis, sans que je vous entretienne davantage de récits inutiles. Mais supposons que quelques principautés de la côte de Barbarie, après beaucoup de fatigues et de guerres, parviennent à se civiliser en partie; que pourront faire ces petites fractions contre toute l’Afrique devenue barbare et fanatique? Elles seront victimes une seconde fois des fureurs musulmanes; peut-être même la portion musulmane, toujours subsistante dans le pays, trouvant un appui dans la puissance croissante de ses coreligionnaires, chercherait-elle à secouer notre joug pour se réunir à eux.

Qu’importe, me diront peut-être quelques-uns de ceux qui s’inquiètent peu que la religion soit chrétienne, juive ou mahométane, que nous importe que l’Afrique devienne tout entière musulmane? Ne pourrons-nous pas être amis et alliés d’un peuple musulman, et avoir avec lui des traités de paix et de commerce comme nous en avons actuellement avec l’Orient? Avec celui qui parle ainsi, il est nécessaire de répondre en dehors de tout principe de religion positive: Il vous importe peu que l’Afrique soit musulmane ou juive, c’est très-bien; puisque vous n’é- /39/ prouvez pas le désir commun aux enfants du Christ régénérateur, de procurer à tout le monde le même bonheur de connaître la seule loi capable de guérir les plaies de la pauvre humanité, et de donner à l’homme toute la plénitude de perfection et de félicité dont il est capable; mais, dites-moi, de grâce, si vous avez du bon sens et de l’humanité, s’il vous importe ou ne vous importe pas d’améliorer le sort de quatre-vingts millions d’individus malheureux à tous égards, et que l’Afrique soit améliorée, au moins dans le but d’avoir une partie du monde si près de vous moins barbare et moins dangereuse, plus utile et plus avantageuse à vos convenances et à votre commerce?

Si cela vous importe peu, sachez que votre espérance de vivre en paix avec l’Afrique musulmane et puissante est tout à fait impossible; qu’il est plus impossible encore de pouvoir faire des traités de paix, de commerce, avec une nation qui a pour principe religieux de ne jamais faire la paix avec ceux qu’elle croit infidèles à sa foi, et qui est obligée, sous peine d’infidélité, de faire une guerre éternelle aux non-croyants; une nation dans le sang de laquelle l’éducation religieuse a fait pénétrer cette croyance qu’il lui appartient de dominer tous les peuples de la terre, qu’elle considère comme esclaves.

Et ne vous laissez pas abuser par la paix actuelle et par les traités que vous avez avec l’Orient; car chacun sait que sa faiblesse et son impuissance ont pu seules amener ce résultat. Cette paix, que vous évaluez si haut, elle est maudite et blasphémée par tous les sujets de cette puissance, qui, précisément à cause de cela, demeure soumise aux plus terribles épreuves qui mettent en doute son existence dans l’avenir. Est-ce, après cela, qu’il vous importe peu que toute l’Afrique se fasse musulmane? Vous qui sans aucun doute aimez votre patrie, vous serait-il agréable de voir que dans la suite les portes de ce vaste et beau pays lui soient /40/ pour toujours fermées? de la voir contrainte de racheter une autre fois à grand prix ses enfants tombés dans un dur esclavage?

Eh bien! sachez que telles seront les conséquences forcées de la conquête de toute l’Afrique à la religion musulmane. Tout ce vaste pays, qui compte quatre-vingt millions d’habitants, sera pour toujours malheureux et sauvage, parce que la conséquence de l’infâme code de Mahomet est précisément d’introduire la barbarie sur les ruines de la civilisation déjà établie, et de consacrer à perpétuité l’état sauvage là où il se trouve. Je ne vous raconte pas des choses nouvelles; l’histoire est là pour vous convaincre de ce que je dis. L’Égypte et la Barbarie furent autrefois de grands pays, où l’Église a eu de grands docteurs et où le monde a vu des faits dignes de l’histoire; que sont-elles maintenant? A l’exception de quelques villes, les campagnes, en Orient, sont désertes et peuplées d’un petit nombre de malheureux qui, comme des machines qu’on fait aller à l’aide du bâton, sont opprimés par une législation infâme. La Barbarie, chacun sait dans quel état elle fut trouvée par les armées victorieuses qui y entrèrent comme dans un repaire de bêtes féroces.

Mais ceci n’est pas tout: le Coran, proscrivant comme profanes les sciences et les arts, limite avec les idées les besoins du peuple aux choses de pure et absolue nécessité, diminue, par conséquent, et réduit presque au néant la consommation des articles qui font l’objet du commerce et celle des produits indigènes qui exigent quelque industrie; et par là, comme on le voit, détruit toute espérance de commerce pour l’avenir. L’Afrique, qui, d’après la nature des choses, pourrait avoir une population relativement égale à celle d’Europe, par suite produire et consommer une égale quantité d’objets industriels et commerciaux; l’Afrique, dans l’État sauvage où elle se trouve, sous l’influence de lois infâmes et restrictives, peut à peine compter un huitième de la popula- /41/ tion européenne, et peut-être pas même an cinquantième pour la production et la consommation commerciales.

Est-il donc peu important qu’un pays si riche et si favorisé de la nature soit fermé pour toujours aux espérances commerciales de nos pays? que tant de trésors y restent pour toujours ensevelis, possédés par une famille de misérables incapables d’en jouir? Puisqu’il en est ainsi, laissez donc l’Afrique accomplir la destinée à laquelle elle semble appelée par un jugement fatal de la Providence, qui peut-être veut la punir de la corruption qui y règne et de l’obstination avec laquelle elle a résisté à la voix divine pendant tant de siècles; mais sachez que l’Afrique musulmane est peut-être destinée à préparer les châtiments par lesquels Dieu punira notre lâcheté et notre manque de charité pour nos frères. Sachez que l’islamisme établi et indépendant a besoin d’esclaves, et d’esclaves étrangers pris dans les pays voisins infidèles, pour compenser les pertes immenses1, pour remplir les vides que fait dans la popula- /42/ tion sa législation contraire aux lois de l’économie animale et de la reproduction; sachez encore que le Coran accorde à ses disciples un droit absolu, droit de conquête, droit d’esclavage, droit de mort et de mauvais traitements sur nous et sur nos pays; sachez enfin que le musulman puissant est prévaricateur de sa loi, s’il n’emploie pas sa puissance à détruire l’infidèle appelé par lui du nom ignominieux d’esclave. Faites dès lors vos réflexions, et voyez s’il convient de laisser l’islamisme finir de s’emparer de l’Afrique; de le laisser croître et se fortifier de façon à pouvoir de nouveau couvrir impunément nos mers de pirates, et semer sur nos côtes la désolation et l’épouvante, non-seulement en Afrique, mais dans les Indes, pour vous priver encore de la liberté de commerce dans toutes ces mers et ces pays.

Mais non, ce ne sont pas les sentiments de l’Europe civilisée; elle pense, tout au contraire, avoir enchaîné, abattu et conquis le géant, et l’avoir actuellement humilié sous ses pieds, qui demande grâce et implore une existence précaire. Voilà au juste la vérité. La Sublime-Porte est, en effet, notre alliée fidèle, vaincue, non pas par la force de nos armes, mais par la grandeur de nos idées et de nos vues. Mais entendons-nous: la Porte ottomane est un gouvernement qui règne sur des pays musulmans, mais non un gouvernement musulman. Le ciel me garde de lancer la moindre accusation contre lui; je connais trop bien les efforts de sa politique pour assimiler à nous et à l’Europe les peuples de son empire; mais il se fait illusion, et plus il s’efforce de civiliser, et plus le parti dont je parle fomente la révolte contre lui et menace son existence. C’est contre la Mecque que sont dirigées mes accusations, et contre le mahométisme absolu qui s’y trouve représenté; la Mecque est l’ennemie de ce gouvernement en même temps que la nôtre; elle cherche une dynastie nouvelle et de nouveaux triomphes. Tant qu’elle ne sera pas humiliée, elle sera une cause de ruine pour tout le monde; aussi la Porte elle-même doit être avec nous contre l’ennemie commune; puis- /43/ qu’elle travaille sans relâche contre les puissances d’Europe ou imprégnées de l’esprit européen, il faut que les vues politiques de toutes ces puissances se dirigent contre la Mecque comme une ennemie naturelle avec laquelle un traité de paix est impossible.

Et ici je ne puis passer sous silence le système déplorable de quelques puissances soi-disant chrétiennes, qui, tandis qu’elles pourraient beaucoup pour empêcher les progrès de notre ruine fatale, obéissant à un misérable égoïsme du moment, se trahissent elles-mêmes avec l’Europe entière, en accordant, non-seulement une trêve dangereuse au parti musulman dont je parle, mais des avantages et des privilèges, particulièrement dans les Indes et en Afrique. Si le gouvernement actuel des Indes avait favorisé la mission catholique, qui seule peut faire des prosélytes, parce que seule elle a une mission divine, s’il l’avait favorisée comme le faisaient les gouvernements antérieurs d’Espagne et de Portugal, aujourd’hui la moitié de ce vaste pays serait chrétien, et conséquemment à jamais européen. Au lieu de cela, par l’effet d’une sotte manie anglo-protestante, la mission catholique, depuis près d’un siècle, est l’objet d’une déplorable persécution qui l’a rendue stationnaire et lui a permis à peine de conserver ses postes comme des vestiges de ses anciennes conquêtes. Au contraire, l’islamisme favorisé se propage d’une façon extraordinaire, et les choses sont tellement avancées, que dès à présent si on le compare au reste de la population, divisée en mille croyances et castes, on peut le regarder comme prépondérant, dans le cas où une révolution surviendrait dans ces pays.

Enfin, sur les côtes de l’Afrique, est-ce que les divers gouvernements nomades et isolés qui s’y trouvent seraient assez forts pour résister aux efforts de la mission chrétienne et au progrès européen, sans l’appui1 /44/ de certaines puissances qui prétendent faire servir le monde entier à leurs propres jalousies et à leurs intérêts du moment, sans l’appui de cette même puissance qui se fait de l’Europe une sorte de jouet, et prête son aide à la politique de l’Arabe conquérant? comment donc se fait-il qu’un cri universel ne s’élève pas dans le monde contre cette funeste politique, afin qu’elle cesse une bonne fois de se faire un jouet des nations les plus honorables et des causes les plus saintes, pour sa propre raine et pour celle des autres? Pourquoi les hommes de bon sens et les nations honorables ne s’élèvent-ils pas contre un peuple qui sacrifie le monde entier à l’égoïsme et à la cupidité du moment?

Est-ce que par hasard, en parlant ainsi, j’oublie le but de ce discours, qui est d’appeler l’attention des puissances chrétiennes sur le progrès alarmant de l’islamisme, surtout en Afrique? N’est-ce pas là ce que je me suis attaché à établir par des considérations appuyées sur des faits incontestables? Qu’il y ait donc contre ce progrès un cri de guerre universel! Mais quelles armes emploiera-t-on? Sera-ce des armes d’injustice, d’oppression, de violence, de persécution, de guerre? Non! des armes de justice et de vérité. De justice: au lieu de protéger le monopole infâme de la superstition, de la barbarie, de l’oppression, il faut protéger la liberté d’instruire ces peuples encore enfants1, la liberté, /45/ pour vos nationaux, d’y pouvoir aller et venir comme le veut le droit commun, pour notre bien comme pour celui de ces pays. De vérité: comme des puissances chrétiennes qui, reconnaissantes d’être plus heureuses, parce qu’elles sont régénérées par l’Évangile ennemi de l’esclavage et de l’ignorance, doivent chercher tous les moyens de procurer à ces malheureux le même bonheur d’être régénérés et éclairés.

Quant aux moyens d’arriver au but, la mission catholique seule est capable de l’atteindre, parce qu’elle est seule divine; ce n’est plus même une question; les différents relevés des missions hétérodoxes sont là pour vous en convaincre.

L’Église catholique seule peut donner des milliers d’apôtres qui soient à la fois des maîtres et des pères pour opérer la régénération des /46/ barbares, prêts à tout sacrifice même à celui de la vie pour le salut de leurs frères.

Hors de là, la colonisation faite sans le concours de la religion est la plus cruelle des impiétés, parce qu’elle fait d’une nation une propriété matérielle comme un troupeau; et la colonisation sans le catholicisme est inutile et chimérique. Les Portugais, dans les Indes, quoiqu’ils soient déchus, sont et seront toujours grands dans le cœur de ces peuples1, parce qu’ils ont laissé là une religion établie; tandis que ceux qui gouvernent aujourd’hui les Indes, dès qu’ils seront vaincus, seront l’objet d’une exécration bien méritée2 pour la corruption qu’ils y ont introduite, corruption de principes comme de mœurs; une fois tombés, /47/ il ne restera d’eux aucun vestige: l’événement ne tardera pas à prononcer. Que ce gouvernement favorise la barbare superstition musulmane, c’est précisément par elle qu’il sera un jour jugé et condamné.

Alors commencera une ère d’épouvante1; nos enfants maudiront la lâcheté de leurs pères, qui, ayant eu le monstre gigantesque sous leurs pieds, au lieu de l’écraser, le flattèrent et lui permirent de reprendre une nouvelle vie, vie de guerre et de barbarie, d’esclavage et de péril universel. Ils seront étonnés qu’avec tant de moyens de toute espèce que nous avons2 pour la régénération universelle du monde, par suite /48/ de rivalités nationales, nous l’ayons, non-seulement négligée, mais empêchée, laissant au contraire croître l’empire des barbares pour leur malheur. Ils gémiront dans les chaînes, et ils diront: Patres nostri peccaverunt...

C’est une grande faute que l’époque actuelle ne réponde pas aux vues de la divine Providence, qu’elle se perde en révolutions et en corruptions intérieures, et abandonne l’œuvre de la régénération du monde1.

[Note a p. 5]

1 Nous devons la communication du document original à l’obligeant intermédiaire de M. du Havelt, qui a voyagé en Orient, et que ses relations avec ces contrées mettent à même de recueillir d’utiles informations. [Torna al testo ]

[Note a p. 7]

1 Avec le XVIIIe siècle: Pour partir de l’époque à laquelle la Porte ottomane s’est mise dans les traités sur le pied de la réciprocité avec les autres puissances, et à laquelle les Européens commencèrent à voyager dans les villes d’Orient en liberté et sans vexations. [Torna al testo ]

2 La géographie de Balbi assigne environ quatre-vingts millions à l’islamisme; mais le calcul est fait, si je ne me trompe, d’après des documents trop anciens, et inexacts relativement aux Indes et à l’Afrique, où le prosélytisme croit chaque jour. [Torna al testo ]

[Note a p. 8]

1 La Porte, considérée en Europe comme un grand empire et maîtresse de tout l’islamisme, l’est à peine d’un quart; les trois quarts sont indépendants; au contraire, la Mecque exerce son influence sur toutes les populations musulmanes. [Torna al testo ]

2 Daniel, chap. II. Le colosse de l’islamisme, fait à l’inverse de celui de Nabuchododosor, parce que sa législation ou sa tête, réellement d’argile, ne présente pas la moindre valeur, ni pour le dogme, ni pour l’administration civile, ni pour la morale; au contraire, ses pieds sont d’or, parce que la combinaison du législateur, en vue de donner une base solide à sa dynastie, fut extrêmement habile. [Torna al testo ]

3 Quand le siège de l’empire ottoman s’est éloigné de la Mecque, celle-ci, plus ou moins, a toujours présenté un esprit de rivalité et d’indépendance. Cet esprit d’indépendance se fait sentir dans toutes les parties de l’empire, et il a successivement amené l’émancipation d’un grand nombre de principautés d’Afrique et d’Asie, qui n’ont cessé de demeurer attachées à la Mecque et lui seraient restées /9/ soumises, si elle-même n’était pas dépendante du sultan. La forte race des Wahabites, qui occupe les environs de la Mecque, a la prétention d’avoir donné naissance à Mahomet et à toute la branche de sa famille qu’on appelle celle des schérifs, et qui est vénérée comme un oracle, par les musulmans de tous les pays. Ces Wahabites savent que l’islamisme ne fera jamais plus un empire puissant, si la capitale de l’empire n’est pas rétablie à la Mecque, centre religieux auquel le monde entier des croyants porte un attachement naturel, et l’unique point d’où la propagande puisse se répandre partout au moyen du pèlerinage: cette idée est secondée par toutes les principautés indépendantes de Constantinople. [Torna al testo ]

[Note a p. 9]

1 Aidé par l’arianisme, en ce sens que les ariens ayant nié la divinité du Verbe incarné, favorisèrent le passage du Christianisme au mahométisme et s’unirent à ce dernier pour traiter les chrétiens d’idolâtres. D’un autre côté, il ne faut pas rejeter l’opinion de ceux qui pensent que Mahomet, dans ses voyages en Syrie, avait emprunté aux moines ariens cette partie de sa doctrine. Cet abbé Félix, qui fit de si grandes prédications à Mahomet, devait être un moine arien. (Voy. la Vie de Mahomet.) [Torna al testo ]

2 Au temps de Mahomet, l’Orient se trouvait dominé par trois hérésies principales: l’arianisme, le nestorianisme et l’eutichianisme, toutes les trois tendant à détruire l’auguste mystère de l’incarnation. Nul doute que Mahomet n’ait trouvé l’apostasie plus facile parmi des populations déjà ébranlées dans la foi et travaillées par l’hérésie qui les dominait depuis trois siècles. Dieu se servit de ce nouveau sectaire comme d’un fléau pour punir l’infidélité obstinée des Orientaux, comme, plus tard, il se servira peut-être de ses sectateurs pour châtier l’incrédulité et l’immoralité qui règnent en Europe. [Torna al testo ]

[Note a p. 10]

1 Point central du monde: Dans un sens non matériel mais idéal, parce que le musulman croit qu’il n’y a pas dans le monde d’autre droit, d’autre puissance, d’autre aristocratie légitime, hors de la Mecque et de la race des shérifs descendants de Mahomet; tout le reste du monde est dans l’esclavage. Suivant le même sens, la Mecque est le lieu qui a toujours été le berceau de la vraie religion, de la foi des patriarches, par l’intermédiaire d’Ismaël, considéré par eux comme le fils aîné d’Abraham, héritier par la ligne patriarcale de préférence à Isaac. Par conséquent, ils sont persuadés que l’islamisme ne fut pas une création nouvelle de Mahomet, mais qu’il ne fit que le purger de l’idolâtrie introduite dans la Kabba, temple du patriarche Ismaël; du reste, ils soutiennent que l’islamisme de la Mecque est celui d’Abraham et remonte ainsi jusqu’au commencement du monde. Enfin, on pourrait encore l’appeler centre du globe relativement aux musulmans, parce que ignorant toute autre histoire du monde, excepté la leur, ils supposent que tout part de là et que tout doit y retourner. De là naît le grand orgueil musulman, par rapport aux juifs et aux chrétiens, considérés par eux comme des branches séparées. [Torna al testo ]

2 Trône de ta divinité, parce qu’à la Mecque, suivant leur histoire et leur tradition, Dieu opéra une grande partie des prodiges des Écritures, et y manifesta toujours sa volonté à ses prophètes, même avant Mahomet. Le livre sacré, dont se servit cet imposteur, était le Talmud, et c’est pour cela que l’histoire sacrée elle-même, dans le Coran et dans les traditions musulmanes, est très-altérée et pleine de mensonges. Ils croient Adam et Eve morts à la Mecque, et falsifient ainsi une foule de faits appartenant aux Écritures. [Torna al testo ]

3 Siège de la religion: pour deux raisons, 1° parce que à la Mecque et dans les environs se trouve la famille des shérifs descendante de Mahomet, à laquelle, en vertu du Coran et surtout des traditions musulmanes, sont attachés les deux pouvoirs spirituel et temporel. Là est le chef appelé grand shérif, le plus proche parent du Prophète, qui est comme une espèce de souverain pontife de toute la secte, dont la personne est l’objet d’une vénération universelle et qui jouit d’une autorité sans limites en matière de religion; 2° parce que c’est Mahomet qui a donné à ses sectateurs la plus grande partie des préceptes qui se rapportent à la Mecque, tels que l’adoration, le pèlerinage, etc. [Torna al testo ]

4 Quiconque est libre et maître de lui-même doit aller une fois dans sa vie on pèlerinage à la Mecque ou y envoyer. Sont exceptés de cette obligation les escla- /11/ ves, les jeunes garçons et les femmes qui sont en harem, c’est-à-dire sous la puissance de l’homme. Il faut dire que Mahomet, dans tous ses préceptes, même dans celui de l’adoration, ne s’est jamais occupé de ces sortes de personnes. Dans tous mes voyages, je n’ai jamais vu les esclaves, les jeunes gens ou les femmes obligés à accomplir les cérémonies soit de purification, soit d’adoration; les jeunes gens ne commencent que lorsqu’ils sont mariés et les femmes que lorsqu’elles sont devenues libres. [Torna al testo ]

[Note a p. 11]

1 Le musulman, cinq fois par jour, c’est-à-dire an lever du soleil, à midi, à trois heures du soir, au coucher du soleil et une heure après, fait son adoration en cette manière:

L’heure venue, il se lave les mains, les pieds et la tête; puis cherche le lieu le plus élevé et le plus propre à découvrir l’horizon, et la face tournée du côté de la Mecque, applique ses mains sur les oreilles et prononce à trois reprises le formulaire de sa foi. Ensuite, avec les bras pendants, il fait trois révérences profondes vers la Mecque, puis se prosterne par terre et trois fois touche la terre de son front; cette cérémonie est recommencée trois fois. On l’accomplit de la même manière dans les mosquées au sommet desquelles il y a une ouverture qui indique la direction de la Mecque. [Torna al testo ]

2 On désigne, sous le nom de la Mecque, tout le territoire des saints lieux mahoumétans, lesquels comprennent les limites de la Mecque où est né Mahomet et celles de Médine où il est enseveli. [Torna al testo ]

3 Les privilèges de la Mecque peuvent être considérés ou comme locaux ou comme personnels aux pèlerins: les premiers sont une sorte de franchise et d’exemption d’impôts, qui est plutôt un effet de l’esprit d’indépendance du pays que de la libéralité des souverains; les seconds sont nombreux, mais introduits moins par la loi que par l’opinion du peuple. Quiconque revient de la Mecque jouit plus ou moins, mais partout, de beaucoup de privilèges, plusieurs desquels sont de telle espèce qu’on ne peut décemment les indiquer; il est reçu dans son pays avec des réjouissances publiques, il est l’objet de la muniflceuce publique et peut être admis dans la catégorie des personnes revêtues d’un caractère comme sacré. [Torna al testo ]

[Note a p. 12]

1 Mahomet a exercé l’état de négociant, comme on le voit dans l’histoire de sa vie, et c’est par là qu’il a commencé sa carrière. Ainsi, non-seulement il ne défendit pas le commerce aux pèlerins, mais le leur conseilla en quelque sorte, y voyant une cause de fortune pour sa patrie. Le pèlerinage finit donc par être une grande foire, on peut dire la première de toute l’Asie. Tout musulman, même celui qui est revêtu du caractère le plus vénéré parmi les siens, se livre au commerce selon ses moyens. [Torna al testo ]

2 Les richesses des saints lieux musulmans sont inconnues; mais en jugeant par le nombre et par le fanatisme des pèlerins qui y vont et qui tous y laissent quelque chose, par le grand nombre de ceux qui meurent et qui disposent de leurs bijoux en faveur du saint lieu, sans doute elles doivent être grandes. Autrefois le trésor du temple était montré comme une grande curiosité; depuis que les Bédouins ont cherché à les voler, ces trésors sont tenus cachés dans des lieux connus à quelques personnes les plus fidèles. Les trésors de la Mecque sont destinés à la guerre sainte et au prosélytisme. Sur les côtes d’Afrique, notamment à Zeila, il y a cinq écoles du Coran payées par la Mecque. Un riche négociant de Perse, dans son pèlerinage, a laissé un demi-million, dont une moitié au trésor de la Mecque et l’autre pour construire des mosquées dans tous les lieux saints; avec cet argent on en a construit une très-belle à Aden. [Torna al testo ]

3 Université du Coran: non pas qu’il y ait aucun établissement d’enseignement et d’instruction publique qui mérite ce nom; mais parce qu’étant le centre d’un culte tout extérieur, où chacun cherche les moyens les plus extravagants pour se distinguer dans sa piété, la personne qui vient en rapporte une exaltation qui lui fait raconter ce qui n’est pas et ce qui n’a jamais été: et cela par le besoin de faire des extravagances et de raconter des choses nouvelles. Ensuite le fanatisme, soit par l’observation de certaines pratiques religieuses, soit par le récit de faits imaginaires, croit tous les jours, et même, dans les pays éloignés de la Mecque, devient de plus en plus puissant. Du reste, à la Mecque, il n’y a que quelques écoles du Coran, où, à force de les répéter, on apprend des extraits du Coran et de l’histoire de Mahomet, en poëmes ou en chants populaires. [Torna al testo ]

4 L’aristocratie à la Mecque a à sa tête toute la famille du shérif, issue du sang /13/ de Mahomet; ensuite un grand nombre de riches pèlerins venus de tous les pays et qui y sont restés par esprit de fanatisme et d’attachement au lieu saint; enfin, un certain nombre de personnes du monde politique, dégoûtées de leurs gouvernements et qui se sont établies là pour être plus libres; cette troisième catégorie, quoique la moins nombreuse, étant composée de personnes, les unes versées dans la politique du monde, et les autres ennemies de leurs gouvernements, est celle que l’on peut dire à la tête de ce parti et qui guide les autres. [Torna al testo ]

[Note a p. 13]

1 Les nouveaux systèmes introduits par les gouvernements de la Porte et de l’Égypte, systèmes d’instruction publique, de tolérance, de droit et de liberté individuelle, et par dessus tout d’alliance politique et commerciale avec toutes les puissances chrétiennes, sont ouvertement en contradiction avec le Coran, surtout comme il est compris et expliqué par la plupart des savants musulmans. Il est donc clair qu’ils doivent pour le moins fournir un prétexte non-seulement spécieux, mais juste dans leur sens, pour chercher un autre ordre de choses plus en rapport avec leur esprit intolérant, guerrier et barbare. [Torna al testo ]

2 Comme on l’a déjà dit, la Mecque a toujours eu cette tendance révolutionnaire, causée, d’un côté, par les ambitieux shérifs, et, de l’autre, par les princes indépendants de l’empire. En disant qu’elle a songé à se faire une politique à elle, on veut indiquer seulement que depuis quelque temps, avec le prétexte du progrès européen, qu’ils considèrent comme une espèce d’apostasie, cette tendance révolutionnaire s’est manifestée plus clairement, s’est fortifiée et agit. [Torna al testo ]

3 Le nombre des pèlerins est difficile à calculer dans ces pays, où il n’y a ni lois, ni état civil. Me trouvant à Suez, on me dit qu’on comptait environ douze mille pèlerins qui prenaient la voie de mer; un égal nombre prenaient la voie de terre et traversaient l’Arabie-Pétrée par caravanes considérables.

Un capitaine me dit que, seulement à Bombay, il s’en embarque chaque année environ trois mille. La moitié à peu près s’embarque à Massoua qui est un petit port; en ajoutant ces petites fractions à toutes celles qui viennent des autres pays, certainement le nombre total peut atteindre une centaine de mille. [Torna al testo ]

[Note a p. 14]

1 Il semble que ce soit une hyperbole de dire que les musulmans viennent des quatre parties du monde; c’est cependant une vérité. L’Afrique est un pays presque tout Musulman; dans l’Asie, ils sont en nombre supérieur aux chrétiens; dans l’Europe, ils sont depuis longtemps établis; même en Amérique, il en est pénétré quelque chose. [Torna al testo ]

2 Jusqu’à ce qu’en Orient le parti progressiste ait pu prévaloir, chose qui est tout à fait impossible pendant un demi-siècle, il y aura toujours des révolutions produites par l’esprit radical de la Mecque, qui tend non-seulement à l’indépendance, mais à l’empire. Sous prétexte de réforme, ou plutôt de conservation, si la Mecque parvient à obtenir dans les cœurs une révolte légitime et pacifique, peu après elle arrivera à l’empire, parce que l’élément religieux chez les musulmans est tout-puissant et découle naturellement de la Mecque. Tant qu’elle sera dépendante de la Porte, l’islamisme ne pourra jamais présenter une force imposante, parce que celui qui représente l’empire a perdu le prestige de la religion, à moins que l’islamisme ne réussisse à se faire un autre empire puissant autre part, comme dans les Indes ou dans l’Afrique.

Donc, en cas de collision entre la Mecque et la Porte ottomane, les puissances d’Europe devront toujours soutenir cette dernière à tout prix, et ce serait une grande déloyauté à tout le monde chrétien, de prêter le moindre appui aux opérations de la Mecque. [Torna al testo ]

[Note a p. 15]

1 En Égypte, le parti radical a toujours été très-fort, même sous Méhémet-Ali. On connaît les conspirations qui ont été découvertes contre ce pacha, appelé du nom de Franc infidèle; ce parti fut toujours contraire à l’avènement d’Ibrahim, comme étant partisan du système progressiste et ami des chrétiens. En 1846, on parlait déjà de révolutions, pour donner le gouvernement à Abbas-Pacha, connu comme un esprit musulman, conservateur fanatique; et il y avait des gens qui supposaient que les Anglais y prendraient part. [Torna al testo ]

2 La mort d’Ibrahim fut regardée comme naturelle et la suite de la maladie connue pour la guérison de laquelle il était venu en France quelques années auparavant. Toutefois, le bruit était généralement répandu qu’Ibrahim avait été empoisonné par la parti contraire. Un mois avant la mort de ce prince, Abbas-Pasha partit pour le pèlerinage de la Mecque, et le public ne manqua pas de dire qu’il avait agi ainsi pour couvrir ses trames et peur se soustraire à la puissance de son rival au cas où il serait découvert. [Torna al testo ]

3 Un certain shérif, iman de la Mecque et chargé d’une mission politique en Abyssinie, fut celui qui porta à Massoua la nouvelle de la mort d’Ibrahim et du départ d’Abbas-Pacha de la Mecque pour l’Égypte; il raconta aussi des détails très-intéressants sur la manière dont l’avènement de ce prince fut célébré par le parti réformateur fanatique à la Mecque. Les mêmes nouvelles furent confirmées peu de temps après à Aden par un négociant indien de retour du pèlerinage. En Abyssinie on assure que le même shérif iman fut envoyé en mission auprès du Ras et du roi de Choa. [Torna al testo ]

4 Dès que le directeur des paquebots anglais à Sues eut appris la mort d’Ibra- /16/ him, il détacha immédiatement le vapeur de station dans ce port, et l’envoya à Djedda chercher le nouveau pacha pèlerin, prenant sur lui la responsabilité de cet acte, qui fut approuvé ensuite par son gouvernement et récompensé du nouveau souverain par une décoration et d’autres largesses considérables. [Torna al testo ]

[Note a p. 16]

1 Les écoles établies par Méhémet-Ali n’étaient pas chrétiennes, ni même européennes, si on excepte la médecine, la pharmacie et d’autres petites écoles spéciales, mais on y apprenait le Coran, les éléments de l’arabe et de l’italien. Cependant le système de l’instruction était bon, soit par l’espérance qu’il aurait été amélioré avec le temps, soit encore parce que le musulman instruit qui lit est toujours plus accessible, tandis que le peuple ignorant ou n’écoute pas la parole de vérité, par un motif de religion qui le lui défend, ou, s’il l’écoute, il n’y comprend rien.

Un système d’instruction générale, quel qu’il soit, peut seul améliorer la condition des pays musulmans et les disposer à recevoir le christianisme après des siècles de cette préparation. [Torna al testo ]

2 Comme je me suis servi plusieurs fois du mot progrès, et qu’à l’abri de ce mot se sont accomplis en Europe certains faits réellement rétrogrades, je dois déclarer que le vrai progrès signifie avancement dans la civilisation chrétienne, tant religieuse que morale; cette civilisation introduite dans les pays barbares et musulmans produirait un progrès véritable. L’Europe, instruite par le Christianisme, après bien des siècles, est arrivée à l’apogée de la grandeur dans tous les genres: riche en sciences, en arts, en population, en commerce et en toutes choses, reine du monde qui la regarde comme une déesse assise sur un trône, majestueuse dans les traits de sou visage, riche dans ses vêtements, polie dans sa manière d’agir, noble dans ses desseins et généreuse dans ses actions: à la différence des barbares qui peuplent la plus grande partie du monde, qui conservent à peine le type d’une humanité dégénérée et malheureuse. Il suffit de faire une analyse de l’état dans lequel se trouvent les populations barbares et musulmanes pour connaître où est le vrai progrès. Il semble incroyable qu’on ose appeler progrès le /17/ principe même de dissolution antichrétienne et antisociale, destiné à ramener nos pays à l’état sauvage. [Torna al testo ]

[Note a p. 17]

1 Chacun sait combien Clot-Bey avait contribué aux réformes introduites en Égypte; il fut forcé de quitter l’Égypte dès qu’Abbas-Pacha prit les rênes du gouvernement.

Plusieurs autres employés de grand mérite furent obligés de faire de même.

Peu après l’avènement d’Abbas-Pacha comme vice-roi, le bruit se répandit que tous les Cophtes étaient exilés dans le Sennaar. Il parait que telles avaient été réellement les intentions du prince, mais qu’il en fut ensuite détourné par ses conseillers et par les représentants des puissances chrétiennes. [Torna al testo ]

2 Vers la fin d’août 1850, au nom des évêques de l’Égypte, une demande fut adressée au souverain pontife Pie IX, afin d’inviter les puissances chrétiennes à réclamer à cet égard auprès du gouvernement égyptien, parce que la destitution des fonctionnaires catholiques commençait à se faire sentir, même à eux, importunés comme ils l’étaient chaque jour par des demandes de secours, des recommandations et autres choses semblables.

Le Saint-Père, toujours prêt à courir au secours de ses pauvres enfants malheureux, envoyas ce sujet une note aux gouvernements de France et d’Autriche. [Torna al testo ]

3 Parmi les musulmans, quand une personne est destituée, la première chose que fait le gouvernement est de chercher à s’assurer de ses biens, et puis, par une liquidation arbitraire, faite par d’autres voleurs, on finit presque toujours par lui enlever tout ce qu’elle a, parce qu’on suppose que cela a été gagné en volant dans l’emploi: j’ai vu cela bien des fois. [Torna al testo ]

4 C’est le shérif iman, déjà cité plus haut, qui raconta cela à Massoua; ce qui fut d’ailleurs confirmé par d’autres. [Torna al testo ]

[Note a p. 18]

1 M......., devant le consul général de France, me raconta deux ou trait de ces cas d’apostasie obtenue par une augmentation de grade et de traitement. [Torna al testo ]

2 Quand le musulman espère ou craint quelque chose, s’il s’agit de condamner un infidèle, il dépose, jure quand il lui plaît et comme il lui plaît. On m’a raconté qu’un Européen avait fait un contrat privé d’une maison à Zeila, dans lequel il avait donné une petite avance, se réservant d’envoyer un Arabe dans lequel il avait confiance pour faire l’acte dans les formes convenables. Son mandataire arabe arriva, ils écrivirent à l’agent consulaire de Massoua pour faire cet acte; on nia le fait, les arrhes et le contrat en présence de la personne même qui avait assisté à tout ce qui s’était passé. [Torna al testo ]

3 Le ministre chrétien dont on parle est Basilios-Bey, père de Basilios-Bey. Méhémet-Ali, après l’événement tragique, se repentit d’avoir sacrifié une personne si distinguée et si innocente. Pour cette raison, il chercha ensuite tous les moyens de faire du bien à ses fils, au nombre desquels était Basilios qui a rempli les premières places, et qui est mort en 1848, laissant sa famille très-religieuse, désolée, parmi les catholiques du Caire. [Torna al testo ]

[Note a p. 19]

1 Le faible Arabe..... Le nom d’Ab-el-Kader suffit pour prouver que les Arabes ne sont pas si faibles. Seul, et plutôt chef de bande que général d’armée, avec le nom de Mahomet écrit sur son épée, après seize années de guerre continuelle, dans lesquelles la nation française a perdu des milliers de soldats, il finit par une capitulation honorable, et la France se montre peu disposée à lui laisser la liberté, parce qu’elle craint qu’il retourne en Afrique susciter une nouvelle guerre. [Torna al testo ]

2 Après la moitié du dernier siècle commença la doctrine des révolutions et du peuple souverain; vers la fin de ce même siècle, un des meilleurs et des plus puissants rois de la terre, Louis XVI, avait déjà été immolé avec toute sa famille. L’histoire des troubles révolutionnaires domina tellement les esprits, que, sous le nom de progrès elle marqua d’infamie les personnes et les villes amies de l’ordre, les appelant arriérées, obscurantistes, rétrogrades; vint ensuite l’époque des bar- /20/ ricades, dans laquelle l’autorité se trouva désarmée sans même s’en apercevoir, la fidélité déshonorée et la sainteté du serment méconnue; les armées virent de sang-froid leurs princes être le jouet de la foule, sans y prendre la moindre part; mais ce n’est pas encore là l’apogée du triomphe de l’idée révolutionnaire, le plus ridicule est de voir les souverains mêmes, très-jaloux de leur couronne, se mettre à la tête de l’idée révolutionnaire qui crie: A bas toute autorité! N’est-ce pas un grand triomphe pour l’idée révolutionnaire? N’est-ce pas le jeu le plus ridicule que puissent faire des souverains? On pouvait bien prévoir dans l’avenir des rois persécutés, mais jamais des rois si bassement prostitués et joués. [Torna al testo ]

[Note a p. 20]

1 Quant au nombre des musulmans qui sont dans l’Inde, des personnes de la même secte m’ont assuré bien des fois que dans les Indes plus de la moitié sont musulmans; mais je n’ai jamais cru à leurs assertions, le plus souvent exagérées, quand il s’agit de grandir leur secte. Mon calcul est basé sur le nombre des pèlerins et des soldats dans les troupes anglaises appelées scipai. Le nombre des pèlerins musulmans est un sur mille de population dans les pays même les plus éloignés. Les soldats noirs indigènes, en faisant une moyenne, sont musulmans pour un tiers; il faut observer d’ailleurs qu’il n’y a pas d’enrôlement, et que les musulmans sont naturellement peu disposés à prendre du service pour une puissance chrétienne. [Torna al testo ]

2 Il est inutile de citer le Coran au sujet de la guerre sainte parce qu’on peut dire que tout le livre est une prédication continuelle de la croisade. Cependant que celui qui désirerait connaître en abrégé la doctrine du Coran sur la guerre de religion ou Gead, comme elle est comprise et expliquée par les commentateurs, se procure les Annales de l’institut d’Afrique; si je ne me trompe, dans le numéro de février 1841 ou dans un des suivants avant le mois d’août, on trouve une excellente dissertation sur le Gead ou croisade musulmane, toute fondée sur le Coran et sur les interprétations les plus en vigueur dans la secte. [Torna al testo ]

[Note a p. 21]

1 La personne qui parlait ainsi est un certain Emir-Bari, frère du shérif ou chef de toute la côte Soumali.

Ce personnage, qui paraît à première vue une créature toute anglaise, a cependant des idées bien éloignées des intérêts d’Aden. A la tête du marché de Berbera, où arrivent les grands négociants de l’Arabie, de la Perse et des Indes, et passant chaque année un temps assez considérable à Aden, en relations d’affaires avec les /22/ grande négociants de ce pays, qui est aussi un lieu de passage pour les pèlerins des Indes, il connaît très-bien toutes les choses qui se passent dans les réunions musulmanes de la Mecque. D’autres personnes aussi bien placées ont tenu des discours encore plus détaillés, que l’on ne reproduit pas, pour être court, et parce qu’on ne veut pas tout reproduire, mais seulement ce qui est nécessaire pour faire connaître l’état des choses, afin que les gouvernements de l’Europe ouvrent les yeux et s’adressent à d’autres sources d’informations pour mieux connaître la situation de ces pays. [Torna al testo ]

[Note a p. 22]

1 Dans le but de former une marine, au dire d’un Arabe bien renseigné, tous les négociants du haut commerce, Arabes, Persans et Indiens, devaient avoir des bâtiments de forme européenne, avec un équipage musulman que l’on exercerait à la manœuvre; avec le temps, ces bâtiments pourront former une marine provisoire. Dans la mer Rouge, il y a quatre ans, il n’y avait pas un bâtiment de forme européenne appartenant aux négociants musulmans, il y avait seulement des barques; maintenant il n’y a pas un négociant de quelque pays que ce soit, qui n’en ait soit un, soit deux, et quelques-uns en ont un bon nombre, et tous bien manœuvrés. [Torna al testo ]

2 Les descendants de Mahomet dont on parle, sont les shérifs de la Mecque, prétendants légitimes à l’empire du croissant. La famille du shérif a pour elle le prestige de la religion qui la favorise, de préférence au grand seigneur de Constantinople, qui a comme perdu la confiance religieuse de la secte. Cette famille a de plus l’avantage de se trouver à la Mecque, lieu admirablement situé où elle peut exprimer ses sympathies à tous les musulmans qui y affluent, tandis que le grand seigneur se trouve tout à fait isolé et inconnu des trois quarts de la grande famille des croyants, même de ses sujets, qui, excepté ceux de la ville impériale, fréquentent plus facilement la Mecque que Constantinople. [Torna al testo ]

[Note a p. 23]

1 Les Arabes de l’Arabie-Heureuse, à l’époque de la guerre de l’Iemen contre la Porte, en 1848, protestaient contre l’invasion turque, mais en même temps disaient qu’ils auraient sacrifié volontiers leur vie à la défense de l’empire de la Mecque. L’émir Bari, dont on a déjà parlé, pense que l’iman de Mascate, le roi de Perse, et plusieurs autres princes, sont disposés à faire leur soumission à la Mecque, quand elle sera un empire indépendant de la Porte. Plusieurs princes de l’intérieur de l’Abyssinie et des pays Galla, parlent d’une guerre sainte qui se fera quand la Mecque sera à leur tête. [Torna al testo ]

2 Une preuve de ce monopole se trouve dans le traité même conclu entre la France et l’iman de Mascate, en 1844. Dans ce traité, on voit que le commerce de l’ivoire et de la gomme copal est interdit aux nations chrétiennes. Quant aux autres branches de commerce, il est certain que, malgré les traités, les mêmes nations en sont à peu près exclues par le fait. [Torna al testo ]

[Note a p. 24]

1 On serait trop long si on voulait raconter les préjugés grossiers et ridicules répandus contre les blancs ou Francs, par les missionnaires de la Mecque. On rapporte qu’Hali-Babola, prince musulman des Galla Hourrou-Hajmanou, devant donner audience à des voyageurs européens tint conseil avec ses missionnaires arabes; comme amis du Ras, ces voyageurs furent reçus, mais à condition de ne pas regarder et de ne pas parler, à cause de dangers à eux connus...... Bemi-Lubo, prince des Worro-Kallo, ne reçut les mêmes voyageurs qu’avec mille précautions. La cause de tant de difficultés est qu’ils craignent les Francs comme des sorcièrs, qui peuvent les empoisonner seulement par le regard..... Un autre de ces princes demandait quel était le moyen de prévenir ces dangers. Ils font croire aussi que nous allons dans ces pays avec l’intention de les conquérir, qu’avec nos sorcelleries nous pouvons faire mourir les princes et donner une force magique à leurs ennemis, et autres choses semblables.

Pour donner de la vraisemblance à de tels préjugés, ils racontent des mensonges revêtus d’une forme mythologique. Dans certains lieux, en racontant la prise d’Aden, on y faisait figurer le capitaine Hens, comme un de ces voyageurs européens qui se présenta humblement au sultan de ce pays, puis, par sa puissance magique, fit paraître à l’instant des bâtiments armés, des canons avec lesquels il s’empara du pays et chassa ce roi.

Ils concluent toujours en insistant pour que les Européens soient chassés de leurs États et qu’on ne les y laisse pas entrer, alléguant l’autorité de leur prophète, qui, précisément par les motifs qu’on a vus plus haut, défend de faire la paix avec les Francs et même de leur parler. [Torna al testo ]

2 La race catholique est la race civilisatrice par excellence, parce qu’elle enseigne le mieux la vraie morale évangélique faite pour donner à l’homme toute la perfectibilité dont il est capable dans ses trois rapports d’homme raisonnable, social et religieux. La morale évangélique, comme elle est enseignée par le catholicisme, retire l’homme de la sphère du simple animal, modérant ses passions par des /25/ lois éminemment économiques, soit du coté hygiénique, soit du côté de la propagation de l’espèce. Par là elle le met dans le monde social comme dans une famille la plus unie; donnant des principes de soumission an peuple comme à un fils, et modérant l’orgueil du souverain, elle veut qu’il soit père et non despote; puis, demandant à tous un amour réciproque, tel qu’il ne laisse à l’égoïsme qu’une simple préférence, elle établit sur toutes les catégories ou les aristocraties de l’espèce humaine, la théocratie des principes religieux qui, imposant à tous une loi et une justice suprême, est capable de contenir les hommes dans les limites voulues, et, en même temps, fait de tout le monde une seule monarchie gouvernée par Dieu et représentée par son Église visible. Au contraire, la morale des communions hétérodoxes, même chrétiennes, est une morale morte; morte dans ses principes, dans ses enseignements et dans sa pratique. Quant à l’islamisme, on peut dire qu’il n’a point de code moral; tout y est laissé dans un complet abandon; le musulman est comme un animal victime de sa propre sensualité; sa prédication se réduit à quelques points de croyance presque entièrement fabuleux dans leur partie historique et il n’y a rien de plus pour le bien de l’homme.

Le protestantisme parmi les chrétiens, avec le principe du libre examen dans la pratique, détruit toute la force du principe moral; aussi sa prédication se réduit-elle à une spéculation qui n’échappe que par son inconséquence à la force dus arguments catholiques; sa morale ne dépasse pas les exigences de l’éducation polie et civile dans les pays où il se trouve. Enfin, le protestant est capricieux dans su foi, sans frein suffisant dans sa conduite morale. Le musulman qui gouverne est un despote et celui qui est gouverné est esclave d’ame et de corps. Quant au protestant, il a perdu la boussole intellectuelle et règle sa conduite d’après les coutumes reçues. [Torna al testo ]

[Note a p. 27]

1 Du Cap jusqu’à Suez, on peut dire que l’Abyssinie est le seul pays où les Européens soient reçus. Encore les musulmans et les Anglais font-ils des efforts continuels pour en fermer l’accès. On cherche à rétablir le naïb d’Arkeko pour en faire une sorte de portier dépendant secrètement, comme la côte Soumali et d’autres lieux, de quelques gouvernements monopoleurs. [Torna al testo ]

2 Il y a, en Abyssinie, des minéraux de toute espèce. Dans beaucoup de lieux, quand la pluie ne manque pas, on peut avoir trois récoltes de froment dans la même année. Les troupeaux sont sans nombre parce qu’il y a des pâturages au delà du besoin. [Torna al testo ]

3 Dans les hauteurs ordinaires et peuplées de l’Abyssinie, et dans les pays Galla, le thermomètre de Réaumur ne dépasse jamais 25° et ne descend jamais plus bas que 15°; il en est autrement sans doute sur les hautes montagnes et dans les bas fonds. De là vient la grande salubrité du pays dans lequel certaines maladies que produisent les variations de l’atmosphère sont tout à fait inconnues, telles que la pleurésie, les maladies de poitrine et d’autres inflammations locales. [Torna al testo ]

4 L’Abyssinien, et surtout le Galla, est doué d’une force physique et intellectuelle qui surprend. Quiconque connaît la finesse de l’Abyssinien instruit, dans sa petite sphère littéraire, et a vu les manœuvres militaires de ces pays, conviendra que ce peuple est capable d’une culture supérieure. Le savant d’Abyssinie a un esprit de pénétration et de réflexion si subtil qu’il étonne bien souvent les Européens. Quant au soldat, ses manœuvres ont la rapidité de la foudre: il suffirait de voir la prestesse avec laquelle il jette sa lance du haut de son cheval et la ramasse par terre sans descendre, pour en être émerveillé. Le type et la physionomie de cette race est à peu près sémitique, et, à l’exception de quelques familles de la frontière, du coté du Sennaar, elle n’a aucun trait des enfants de Cham. [Torna al testo ]

5 L’Abyssinie est la clef de l’Afrique orientale. Si la Mecque gagne l’Abyssinie, sa position sera changée immédiatement, parce que là seulement elle pourra avoir /28/ au moins deux cent mille bons soldats pour consolider son empire africain. Aujourd’hui, l’Abyssinie ne compte pas, parce qu’elle est divisée en plusieurs principautés, continuellement en guerre entre elles, et cependant elle ne laisse pas de se faire sentir à l’extrémité de ses frontières. La descente de quelques troupes d’Oubié à Massoua, en Janvier 1849, suffit pour mettre en fuite le gouvernement de la Porte, saisi d’épouvante. Les troupes d’Oubié se sont fait craindre de l’armée de Méhémet-Ali, quoiqu’elles ne soient qu’une très-faible portion de la force de ce pays. [Torna al testo ]

[Note a p. 28]

1 Le Ras reçoit chaque année des députations et des présents de la Mecque. Il paraît aussi qu’après la mort de Sala-Salassie, roi de Choa, des députations et des présents furent envoyés pour corrompre ce jeune roi, qui est dominé par des ministres musulmans. [Torna al testo ]

2 On peut dire de l’histoire de l’Abyssinie que c’est une histoire de huit siècles de guerre continuelle contre les musulmaus qui l’entourent de tous les côtés. La Mecque, n’ayant pu la vaincre par les armes, commença ses intrigues et est arrivée par ce moyen au moment de s’en emparer; la chose est si avancée que les chefs du clergé même favorisent l’apostasie des individus et les opérations des grands. Pauvre nation trahie! [Torna al testo ]

3 La mission catholique en Abyssinie fut envoyée en 1838. M. de Jacobis, lazariste et préfet, accompagné de quelques missionnaires, resta plusieurs années /29/ sans avoir la consolation de gagner la confiance même de ses serviteurs. En 1842, il conduisit en Europe un certain nombre d’Abyssiniens, et ce fut à leur retour que la mission commença à exercer une influence très-consolante.

C’est à la fin de 1846 que Mgr Massaia vint dans ce pays; il y trouva plusieurs églises dans lesquelles le culte catholique était déjà organisé. Avec l’aide de vingt-quatre prêtres que Mgr de Jacobis avait déjà préparés et qui furent alors ordonnés par le nouvel évêque, le culte catholique prit une forme et la mission de Mgr de Jacobis se trouva en voie de prospérité. Les choses allaient si bien que les principaux chefs, sur l’impulsion de M. Montuori, avaient déjà organisé une députation pour aller demander au Saint-Père un évêque catholique. Sur ces entrefaites mourut Sala-Salassie, roi de Choa, et l’abouné ou évêque hérétique, voyant que ses affaires allaient mal, redoubla d’efforts, et, secondé par les recommandations de certaines puissances européennes qui ont prodigué des présents sans nombre pour sa défense, il réussit, non-seulement à se consolider, mais encore à susciter aux missionnaires une persécution terrible. Déjà, en 1849, Mgr de Jacobis avait été obligé d’abandonner, non-seulement nel testo:Aloa Adoa, mais de fermer les églises de Guala, de Biera, de Anticio et de se retirer à travers les montagnes de Teltat, au sein de la tribu d’Alitena, indépendante de l’Abyssinie, et qui n’a jamais été entamée. La persécution n’avait pas encore atteint la mission de Gondar et laissait en paix les missionnaires Galla établis au delà du Beghmeder. [Torna al testo ]

[Note a p. 29]

1 Dans les principautés Galla musulmanes de Alibabula, Daund, Abba Salema, Beni-lubo, où il y a un grand nombre de chrétiens, les églises sont dépouillées, les prêtres chassés et les pauvres chrétiens sont bien souvent obligés par le bâton à se faire musulmans; on va jusqu’à leur interdire l’entrée de la cité où demeure le prince. [Torna al testo ]

[Note a p. 30]

1 Goradid, province considérable du Beghmeder, centre des pays chrétiens, a pour gouverneur Degias Besehir, oncle du Ras et musulman fanatique. A peine eut-il pris le gouvernement de ce pays qu’il dépouilla les églises de leurs biens et chassa une grande partie des prêtres. Il fit venir des musulmans de son pays et les établit comme chefs sur les divers points de la province. Cela fait mal de voir la situation de ces pauvres chrétiens que l’on force par les moyens les plus iniques à se faire musulmans. [Torna al testo ]

2 Oubié, prince de Tigré, de Semien, de Wagaro et de Volkait; Berci Gono, prince de Gojam; Toko Billé, prince d’Amara, et quelques autres, sont d’un caractère véritablement chrétien. Le premier qui est le plus puissant après le Ras est un diplomate; le second, serait un Napoléon, si sa principauté n’était pas si petite; le troisième a de la valeur, mais il est très-faible, ayant à peine trois mille soldats. Quant à tous les autres princes chrétiens, tels que le Ras et le roi de Choa, ce sont de ces gens qui lisent les Psaumes de David le matin et le Coran le soir. [Torna al testo ]

3 Le chrétien d’Abyssinie est chrétien de naissance et d’habitude, plus que de conviction, parce qu’il est extrêmement ignorant; et dès lors il est très-susceptible d’apostasie, quand le scandale des grands, la passion ou la crainte agissent sur lut. Ajoutez à cela que l’idée chrétienne étant là en décadence, est faible; au contraire, l’idée musulmane croît sans cesse, parce qu’elle est mieux appuyée, plus vive, plus active. [Torna al testo ]

[Note a p. 31]

1 L’évêque hérétique, comme étant né et élevé au Caire, au milieu des musulmans, est d’une foi très-suspecte. Il lui est arrivé quelquefois de dire que se faire musulman n’est pas mal, mais que c’est très-mal de se faire catholique; ses actes confirment ses paroles: tandis qu’il garde le silence à l’égard de ceux qui passent en grand nombre à l’islamisme, il sonne au contraire l’alarme pour un seul qui se fait catholique. Les apostats devenus musulmans fréquentent sa maison et sont ses amis, et les catholiques sont persécutés jusqu’à la mort. Ajoutez à cela qu’il a pendant deux ans étudié dans les écoles protestantes du Caire et qu’il fut fait évêque d’Abyssinie par l’influence anglaise. Il y vint avec le dessein de convertir toute cette nation au protestantisme, suivant ses promesses. Il fut obligé de dissimuler ses mauvaises intentions; autrement, il aurait été chassé comme le furent les missionnaires protestants appelés par lui. Toutefois, il a toujours fait tout ce qu’il a pu pour favoriser le protestantisme son protecteur, en sorte qua dans la personne de l’abouné se trouve incarnée toute la haine des Cophtes, des Anglais et des musulmans contre le catholicisme pour la ruine de ce malheureux pays. [Torna al testo ]

2 La mission catholique est évidemment la seule qui puisse sauver ce pays de l’islamisme. En Abyssinie, à l’exception de l’hérésie des deux natures qui ne se rencontre que chez les seuls savants, le reste du dogme et de la liturgie peut être considéré comme catholique; plutôt que de se faire protestants, les Abyssiniens se feront musulmans, parce que, comme ils le disent, les musulmans honorent la Vierge plus que les protestants, ce qui est vrai. De plus, les efforts même de l’évêque pour les faire protestants ne font que les porter à l’islamisme. Qui pourra sauver ce pays, si ce n’est la mission? [Torna al testo ]

[Note a p. 32]

1 Entre autres choses, ce missionnaire lui demanda sa protection pour pouvoir construire une église et établir des missionnaires dans le Tuotala, grand pays tout chrétien qui est sous la domination de Beni-Lubo, prince musulman, tributaire du Ras, où ces pauvres chrétiens réclamaient instamment l’envoi d’un prêtre. Pour l’y engager, ce missionnaire lui disait que l’Église serait bâtie en sou nom, mais tout fut inutile, parce qu’il ne voulait pas permettre que des prêtres s’établissent dans des principautés musulmanes. [Torna al testo ]

[Note a p. 33]

1 Il s’agissait de ménager, avec le patriarche cophte du Caire, un rapprochement à l’Église catholique, ou du moins d’obtenir de ce vieillard quelque trêve dans la persécution qu’il exerce, par sa correspondance, contre la mission. La conversion de ces Cophtes serait un grand pas; elle nous ouvrirait la voie à un enseignement actif dans toute la haute Égypte jusqu’au Sennaar, pour nous avancer ensuite peu à peu vers le centre de l’Afrique. Il ne serait pas moins important de gagner deux millions de chrétiens en Abyssinie. Un grand service serait rendu par la puissance chrétienne qui saurait employer son influence à contribuer à rapprocher de l’Église ce reste de chrétienté si précieux, ce qui pourrait avoir un résultat décisif contre l’islamisme; sans cela, l’Abyssinie sera perdue avant peu. Maintenant que les Cophtes sont persécutés par le pacha, ce serait le moment de faire cette négociation que l’on pourrait entamer d’accord avec le Saint-Siège. [Torna al testo ]

[Note a p. 34]

1 On assure qu’au Caire il y a des legs qui produisent chaque année une somme considérable destinée aux Cophtes qui se font musulmans. A chaque apostat on donne un secours, et ces fonds, quoique considérables, ne sont jamais suffisants pour tous ceux qui, dans l’année, se font musulmans. [Torna al testo ]

[Note a p. 35]

1 Il n’y a pas beaucoup d’années que, sur la côte de Zanzibar, un voyageur français fat assassiné; peu de temps après, le consul de Zanzibar fut empoisonné. A Djedda, en 1848, le pacha prit la femme du pauvre Sechis, drogman français chrétien; en 1849, également à Djedda, un soldat du gouvernement tira un coup /36/ de pistolet sur M. Fresnel, consul français; quelques jours après, dans la même ville de Djedda, pendant que l’on portait en terre un matelot de la Grenouille, le convoi funèbre fut insulté publiquement. Cela s’adresse, non-seulement aux Français, mais aussi aux Anglais même. Dans le mois de mai 1850, deux officiers de marine, qui voulurent sortir du port d’Aden et débarquer à la distance d’une demi-heure en terre ferme, furent massacrés. Eh bien! qu’a-t-on fait pour réparer toutes ces insultes?... [Torna al testo ]

[Note a p. 41]

1 La population dans les pays musulmans est naturellement en décroissance. Dans l’Égypte seulement, quoiqu’elle reçoive chaque année de l’extérieur environ dix mille esclaves qui, avec le temps, acquièrent la liberté et peuvent même se marier; quoiqu’il y ait aussi un flux continuel d’Européens, de Grecs, d’Arméniens et d’autres nations; cependant la population au lieu de croître diminue toujours. Il est hors de doute que la polygamie et l’immoralité eu sont les causes. A la femme mariée chrétiennement, en faisant une moyenne, on peut donner six enfants et peut-être davantage; à la musulmane, pas même trois. Dans les pays sauvages où la polygamie est en usage, quand je racontais qu’en Europe, une femme était bien souvent mère de dix, de douze enfants et plus encore, ou ils ne voulaient pas me croire, ou ils attribuaient cela, et même trop facilement, à un miracle obtenu par le pouvoir de la bénédiction nuptiale. J’ai de plus remarqué, que dans les pays musulmans, beaucoup de gens du bas peuple ne se mariaient pas à cause du manque de femmes accaparées par la polygamie des grands; car Dieu, dans la production des deux sexes, règle les choses de manière que le nombre de l’un ne surpasse pas celui de l’autre. Aussi ces femmes en si grand nombre dans les harems sont pour la plupart des victimes malheureuses et stériles pour la société. Qui médite de près sur le peuple musulman doit y trouver une grande immoralité qui le fait marcher dans une voie bien éloignée de la voie naturelle. De là vient, je crois, le manque d’équilibre dans la population. [Torna al testo ]

[Note a p. 43]

1 De même qu’en Europe l’Angleterre favorise un parti dont Dieu se servira peut-être pour opérer la ruine de ce paya avant celle des autres puissances; ainsi /44/ dans les pays barbares elle favorise les musulmans, qui devront, tôt ou tard, la chasser honteusement d’une grande partie de ses colonies. La politique musulmane comprend déjà à l’heure qu’il est que l’Angleterre est un colosse qui subsiste par un effort de la politique; et elle travaille pour se trouver prête à la première commotion qui se produira. Ce sont les paroles d’un Arabe célèbre. [Torna al testo ]

[Note a p. 44]

1 Le système athée de colonisation est barbare et peu politique. Il est barbare parce qu’il doit se borner à un objet trop mercantile et trop bas. Si vous prenez possession d’un pays sauvage avec l’intention de l’instruire et de l’améliorer, vous vous donnez sur lui un certain droit de paternité, auquel vous ajoutez celui de jouir des avantages que le pays peut offrir, en récompense de votre sollicitude envers une nation pupille, orpheline et abandonnée; mais si vous prenez posses- /45/ sion de ce pays uniquement pour profiter de ses produits naturels et industriels, je ne sais à quel titre vous pouvez vous livrer à une invasion contraire au droit naturel et commun; si de plus vous parvenez à empêcher l’instruction et l’éducation du sauvage, pour l’avoir pour toujours esclave à vos ordres, alors évidemment vous tombez dans le despotisme barbare du Coran. Le système athée de colonisation est de plus peu politique, parce que le sauvage, en contact avec l’Européen peu à peu sans se civiliser en apprend assez pour devenir habile à la guerre; s’il avait acquis votre foi et votre éducation, ce serait un lien de plus qui l’attacherait à tous, d’autant plus qu’il pourrait avoir besoin de votre appui pour conserver cette foi attaquée par les autres barbares voisins; dans le cas contraire, il fera cause commune avec les autres pour se dégager de votre oppression. Ainsi, si dans les Indes le parti musulman prend de la force, les musulmans de la Perse et de l’Arabie viendront à son aide; au contraire, une fois que le parti dominant sera devenu chrétien, il sera forcé de rester toujours avec nous pour se soutenir. Il y a ensuite un autre système de coloniser, qui est d’établir des agents nomades, qui paraissent indépendants vis-à-vis de l’Europe dans les violences et dans le monopole qu’ils exercent sur leurs sujets et sur les étrangers, mais dans tout le reste ne sont que de véritables agents, comme sur la côte Soumali. Je ne dirai rien de celle-là: seulement je demanderai si on peut y permettre le commerce des esclaves, les excès commis à l’abri de la dictature de la puissance même qui les autorise pour exercer un acte barbare de suprématie maritime sur des puissances amies. [Torna al testo ]

[Note a p. 46]

1 En parlant avec des Portugais de Goa, qui se trouvent en grand nombre à Aden, serviteurs ou employés anglais, et à cause de cela obligés de tenir un langage favorable à leurs maîtres, j’ai cependant toujours remarqué en eux une grande sympathie pour le Portugal. Ce qui m’étonnait le plus, c’était de les voir, au milieu du mouvement de ce colossal empire anglais, conserver une bonne opinion tellement invincible en faveur du Portugal, qu’ils ne doutent point qu’il ne soit une des plus grandes nations, sinon plus forte que l’Angleterre, au moins son égale. Le grand besoin qu’ont les Anglais dans les Indes de se servir des Portugais de Goa, prouve, jusqu’à l’évidence que l’ancien système suivi sous le gouvernement précédent était bien meilleur: si en tant d’années de colonisation, ils avaient fait comme leurs prédécesseurs, ils trouveraient parmi les indigènes des ressources suffisantes, sans avoir besoin de recourir aux étrangers. Malheureusement, ces pauvres Portugais, très-bons catholiques, en contact avec les Anglais, marchent rapidement vers la corruption. Que n’ont pas fait les Anglais pour amener le schisme de Goa? Que ne font-ils pas pour changer la foi et les mœurs de ces hommes si bons? [Torna al testo ]

2 Le gouvernement anglais dais les Indes, s’il vient à être chassé par une révolution, entraînera après lui tous les protestants qui y sont, parce qu’ils sont tous ou presque tous Européens. Comme ils ne se sont pas occupés à faire du prosélytisme religieux, ou plutôt comme leur mission protestante est stérile et sans fruits, ils ne laisseront pas là un seul temple un peu remarquable et fréquenté; tout disparaîtra avec eux; le catholicisme y restera pour lutter encore pendant des siècles avec les musulmans, comme l’unique vestige d’un gouvernement chrétien, antérieur au leur, et beaucoup plus politique. [Torna al testo ]

[Note a p. 47]

1 L’époque dont on parle ici arriverait dans l’hypothèse du triomphe de la politique musulmane. Ce triomphe, dans les Indes et dans l’Afrique, changerait la position de l’islamisme, d’une manière suffisante pour le rendre fort, indépendant, ayant une politique à lui, et, sans aucun doute, il constituerait une époque effroyable pour l’Europe entière. L’islamisme n’a besoin, pour être terrible, que d’être fort et indépendant.

Supposez que la Russie actuellement fût musulmane, que ne ferait-elle pas? On craint la Russie, et cependant c’est une puissance chrétienne qui ne fera jamais d’esclaves et ne versera point le sang... L’Europe, si elle suit ses voies actuelles, doit inévitablement tomber entre les mains d’une de ces deux puissances... — Si la contagion ne gagne pas les régions du Nord, nous serons encore heureux qu’il y ait une puissance chrétienne pour nous préserver de plus grands périls. [Torna al testo ]

2 S’il y a jamais eu une époque où la politique chrétienne ait pu espérer la civilisation des barbares dans le monde entier, moyennant la diffusion de l’Évangile, ce ne peut être que l’époque actuelle. L’empire romain, en prenant une extension colossale, favorisa beaucoup la propagation du christianisme; mais on ne connaissait alors que la moitié du monde. Plus tard, au temps de la grandeur de l’Espagne, du Portugal et de Venise, il y a eu aussi d’importants résultats; mais la difficulté des communications paralysait en grande partie l’action religieuse, du moins à l’égard des pays les plus éloignés. D’un autre côté, durant plusieurs siècles, l’empire musulman, indépendant et persécuteur, ferma les voies à la parole de salut et empêcha sa propagation dans une grande partie du globe. Aujourd’hui cet empire se trouve, du moins pour quelque temps encore, dans une position qui l’oblige de subir la loi des puissances chrétiennes, et il permet aux missionnaires de circuler librement dans ses domaines: on ne rencontre de difficulté que /48/ de la part du petit nombre de princes indépendants de la Porte et de l’Europe. De plus, les moyens de communication sont prodigieux; à présent on ne connaît plus de distance et les lieux les plus éloignés sont visités par pur agrément, grâce aux rapides correspondances des bateaux à vapeur. Il est bien déplorable que cette œuvre divine rencontre en Europe des obstacles de la part de certaines puissances chrétiennes. [Torna al testo ]

[Note a p. 48]

1 Cest une grande faute que l’époque présente ne réponde pas aux vues de la divine providence. S’il est mal pour les individus de ne pas correspondre aux grâces divines, n’en sera-t-il pas de même pour les nations? Une nation n’a pas une âme immortelle qui puisse subir une peine éternelle dans l’autre monde; ce n’en sera pas moins un crime national que de manquer de correspondre aux volontés divines, clairement expliquées dans l’Évangile à l’égard de la prédication aux infidèles et qu’il est facile d’accomplir dans la puissance actuelle de la civilisation chrétienne. Le crime national n’étant pas puni dans l’autre monde comme national, sera certainement puni dans celui-ci, et le sera au moyen même des barbares que nous n’aurons pas évangélisés. [Torna al testo ]