Liber Miraculorum
Sancte Fidis
ed. Bouillet 1897

Préface

/X/

II

De toutes les écoles que le moyen âge vit éclore, celle de Chartres fut l’une des plus célèbres. Les élèves qui la fréquentaient n’étaient pas tous originaires de cette ville, et beaucoup y accouraient des pays les plus éloignés et les plus divers. M. l’abbé Clerval, dans sa remarquable étude sur les écoles de Chartres au moyen âge, nous fait connaître un bon nombre de ces derniers1. Déjà, au xe siècle, l’historien Richer /XI/ nous raconte le périlleux voyage qu’il accomplit, en 991, de Reims à Chartres pour aller étudier dans cette dernière ville les Aphorismes d’Hippocrate, sous la direction d’Héribrand1. Un certain nombre de clercs, à l’exemple de Richer, vinrent de Reims à Chartres pour perfectionner leurs connaissances scientifiques et littéraires. Parmi eux se trouva vraisemblablement Fulbert, qui devint bientôt le chef le plus illustre des écoles de Chartres. La réputation de son savoir et de sa sainteté attira entre autres auprès de lui un jeune homme désireux de profiter des leçons du maître renommé.

Ce jeune homme s’appelait Bernard, et selon toute probabilité, était originaire d’Angers. Il avait un frère, Robert, surnommé l’Angevin, plus jeune que lui, et qui devint, vers 1054, abbé de Cormery en Touraine. Toutefois, on ne sait rien de leur famille, et on ignore la date de leur naissance.

Durant son séjour à Chartres, Bernard eut occasion d’entendre de la bouche de Fulbert le récit des miracles qui s’opéraient autour des reliques de sainte Foy, à Conques. Il conçut bientôt une grande dévotion pour l’illustre sainte, et il aimait à aller prier dans la chapelle qui lui avait été dédiée aux portes de la ville. Toutefois, les merveilles qu’on lui attribuait, et dont la renommée faisait grand bruit, étaient tellement extraordinaires, que notre écolier hésitait à y ajouter foi, et ne pouvait se défendre de douter de leur vérité. Le désir le prit de s’en assurer, et, pour cela, de se rendre à /XII/ Conques. Il s’engagea même par vœu à accomplir ce pèlerinage dès que les circonstances le lui permettraient.

Sur ces entrefaites, vers 1010, il fut appelé par Hubert de Vendôme, évêque d’Angers, pour diriger l’école épiscopale. « Bernard en prit soin pendant trois ans, et y eut beaucoup à souffrir de se voir, d’une part, empêché par un enchaînement d’affaires d’accomplir son vœu, et de l’autre engagé avec des étudiants si peu avancés, qu’il ne pouvait profiter des leçons qu’il fallait leur donner1. » Au lieu de leur enseigner la philosophie, comme il s’y attendait, il se vit obligé de leur apprendre les principes de la grammaire. Enfin notre écolâtre, dégoûté du métier, quitte presque furtivement sa chaire pour accomplir son vœu et entreprendre le voyage depuis longtemps rêvé. Il séjourne vingt-cinq jours à Conques, y recueille les plus éclatants miracles de la sainte, et en consigne le récit dans un livre qu’il dédie à son ancien maître Fulbert, devenu depuis 1007 évêque de Chartres. Il l’envoie aussi à Adalgerius, alors abbé de Conques, contemporain du roi Robert. Bernard d’Angers nous apprend que, dans son premier voyage, il était accompagné d’un écolâtre du nom de Bernier2, qu’il se rendit à Conques une seconde, puis une troisième fois en 1020, cette fois avec Sigebald3, son secrétaire. Il put alors augmenter sa /XIII/ première relation, et rédiger un second et un troisième livres, d’étendue d’ailleurs fort inégale.

On conjecture qu’il reprit entre temps la direction de l’école épiscopale d’Angers, et qu’il fit même un séjour à la cour de Guillaume, comte de Poitiers.

« Bernard a laissé un autre écrit de sa façon. C’est la relation d’un pèlerinage qu’il fit, vers 1020, en la compagnie de quelques autres Angevins, à N.-D. du Puy en Velay. Ménard, dans ses Ecrivains d’Anjou, en rapporte un fragment qu’il a tiré du P. de Gissey1 ». Ce voyage fut peut-être l’occasion ou la suite de sa troisième visite à Conques.

Le Liber Miraculorum S. Fidis, dans son intégrité, se divise en quatre livres. Les deux premiers devraient régulièrement en former trois, puisqu’ils contiennent les récits que Bernard d’Angers écrivit lors de ses trois voyages au sanctuaire de sainte Foy2. Les deux autres furent composés par un moine de Conques qui entreprit, au xie siècle même, de continuer l’œuvre de l’écolâtre et de publier le récit des nouveaux miracles opérés par la sainte. « Nous n’avons pas voulu, dit-il lui-même dans une sorte de prologue, ajouter les chapitres suivants sans prévenir le lecteur qu’ils n’étaient plus du même auteur, dans la crainte que cette confusion pût nuire à l’authenticité et à l’autorité de l’ouvrage... Nous n’y apposons pas notre nom, par respect pour la sainte3. »

/XIV/ L’œuvre de Bernard d’Angers se trouve mentionnée de bonne heure. Déjà, au commencement du xiiie siècle, Albéric de Trois-Fontaines, mort après 1241, dit dans sa chronique1: « Ad sanctum Fulbertum episcopum Carnotensem Bernardus, scolasticus Andegavensis, edidit libellum miraculorum sancte Fidis de Conchis, quæ passa est in civitate Aginno sub impio Daciano cum beato Caprasio2. »

Les différents propres du Bréviaire d’Agen, édités au xviie et au xviiie siècle d’après le récit de la Passion de sainte Foy publié par le P. Labbe3, font une mention spéciale de l’œuvre des deux historiens, et affirment que la partie rédigée par l’écolâtre d’Angers était réellement partagée en trois livres, correspondants aux trois voyages qu’il fit à Conques.

Les copies manuscrites du Liber Miraculorum se répandirent dans l’Europe entière. Malheureusement certains scribes jugèrent à propos de faire un choix parmi les miracles; ils les tronquèrent, modifièrent l’ordre primitif, confondirent même ceux du moine anonyme avec ceux de Bernard, et donnèrent leur compilation comme l’œuvre de ce dernier. Plusieurs de ces manuscrits, où ne se trouvait pas l’épître dédicatoire à Fulbert, ne présentaient plus de nom d’auteur.

/XV/ C’est l’un de ces derniers, provenant de la riche bibliothèque des Chifflet de Besançon, que le P. Labbe publia dans sa Bibliotheca nova manuscriptorum1. La Patrologie latine de Migne reproduisit2, en 1853, le texte publié par le P. Labbe, en y ajoutant cependant l’épitre dédicatoire d’après Mabillon3, qui l’avait empruntée à un manuscrit conservé à Chartres.

Les Bollandistes4, en 1770, publient une autre version provenant de la célèbre bibliothèque de la reine Christine de Suède, actuellement au Vatican; ils y joignent, sous forme d’appendice, un certain nombre de miracles empruntés, les uns à un manuscrit conservé autrefois à la Chartreuse de Strasbourg, les autres à la Bibliotheca du P. Labbe. Ils avaient collationné leur texte avec celui de ce dernier pour les miracles, et avec celui de Mabillon pour le prologue.

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[Nota a p. X]

1. A. Clerval, Les écoles de Chartres au moyen âge, du Ve au XVIe siècle. Chartres, 1895, p. 58 et suiv. Torna al testo ↑

[Nota a p. XI]

1. Hist. IV, 50, ap. Patrol. lat. de Migne, t. CXXXVIII, col. 147. Torna al testo ↑

[Note a p. XII]

1. Hist. littér. de la France, t. VII, p. 308. Torna al testo ↑

2. Lib. I, c. xiii. Torna al testo ↑

3. « Meus Sigebaldus, secretorum meorum minister, scholasticus et consacerdos, qui mecum ad S. Fidem praesenti anno peregrinatus fuit. » Lib. II, c. xiv. Torna al testo ↑

[Note a p. XIII]

1. Histoire littér. de la France, VII, p. 310. Torna al testo ↑

2. Le troisième livre commencerait avec le chapitre vii de notre livre II. Torna al testo ↑

3. Lib. III, Prolog. Torna al testo ↑

[Note a p. XIV]

1. Ad annum 994. Torna al testo ↑

2. Cf. Analecta bolland., 1889, p. 64. – Monum. Germaniæ Scr., XXIII, p. 176. – Hist. littér. de la France, XVIII, p. 279. Torna al testo ↑

3. Cf. le propre de 1670: 6 octob. in II Nocturno, Lect. VI. – Proprium SS. ecclesiae et dioecesis Asinnensis Jussu Ill. ac Rev̄mi Francisci Hebert ep̄i et comitis Aginn, 1728. Die 13 octob. Octava S. Fidis. In II Nocturno. Ex antiquo Proprio Aginn. – Labbe, Bibl. nova mss., II, p. 528. Torna al testo ↑

[Note a p. XV]

1. T. II, p. 531. Torna al testo ↑

2. T. CLXI. Torna al testo ↑

3. Annales Ord. S. Benedicti, t. IV, p. 703. Torna al testo ↑

4. Octobr. III, p. 302. Torna al testo ↑