Massaja
Lettere

Vol. 2

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Al padre Lorenzo Lachenal d’Aosta e definitorio OFMCap.
ministro provinciale e definitori di Francia – Lione

[F. 1r]Très Révérends Pères,

Royaume de Kaffa le 17 Septembre 1860

Il serait difficile de pouvoir Vous exprimer combien Nous fut pénible d’apprendre par une lettre du T. R. P. Archange de Lyon ex Provincial que Mgr. Persico V. Ap. d’Agra en sollicitant pour lui les missionnaires que Votre Province destinait à ce Vicariat a fait échouer la demande que Vous aviez faite de cette Mission. Si un tel résultat fut douloureux pour Vous T. R.R. P.P. et pour Vos fervents religieux qui aspiraient à venir arroser de leurs sueurs et de leur sang cette partie de l’Ethiopie; il le fut bien autrement pour Nous, dont l’apostolat dans ces pays n’a eu pour résultat jusqu’à ce jour que croix et tribulations de tout genre. En pensant que de fervents et intrépides Missionnaires allaient arriver au secours de cette mission expirante, mon courage abattu s’était ranimé et l’avenir de cette Mission si éprouvée me paraissait moins sombre, espérant avant de mourir laisser après moi des germes de Christianisme et de bons Ouvriers. Maintenant je me demande si cette Mission doit donc être abandonnée et si tant de sacrifices doivent être perdus? Une voix intérieure me répond, non, car Dieu qui en a voulu la fondation par la Volonté du Vicaire de J. C. doit en vouloir la continuation, car /224/ les peuples aussi font partie de l’héritage de son Divin Fils. Aussi T. R.R. P.P. perdre courage et abandonner la bonne pensée que la Province a conçue par l’inspiration de l’Esprit Saint, serait l’acte de condamnation de ces peuples qui, abandonnés par Vous, seront délaissés et condamnés à la mort éternelle. Dans les difficultés éprouvées Nous devons voir un acte hostile de l’Ennemi de tout bien, qui redoute de voir arriver, dans les pays où il règne en maitre, de zélés religieux qui n’y planteraient pas seulement la Croix de J. C., mais bien encore la Vie Monastique, et rendrait impossible à cette ancienne Chrétienté le retour à l’hérésie. Jusqu’à ce jour je ne Vous le cacherai point[:] tous les efforts du Démon ont été dirigés contre les Missionnaires et le perfide n’a que trop réussi et si des hommes de Dieu n’arrivent, tout est perdu. Je ne saurais Vous cacher ma prédilection pour Votre Province, car les Provinces naissantes sont ordinairement les plus ferventes et offrent les meilleures vocations pour les Missions, et les Capucins Français sont de bons et vaillants Chevaliers du Christ, aussi vers Vous Frères en J. C. et en S.t François ces peuples, cette Mission et le vieux Pasteur tournent les regards, et Vous appellent à son secours. [F. 1v] Levez Vous donc, Chevaliers du Christ, armés des armes que Nous a léguées Notre Séraphique Père. Marchons à la conquète de la vieille Ethiopie et du Centre de l’Afrique. Suivons les traces des Archanges de Nantes et des S.ts Capucins Français qui en 1650 arrosèrent ces pays de leurs sueurs et de leur sang. Les Capucins Français après l’expulsion des Jésuites de l’Abyssinie furent chargés de cette mission et 6 d’entre eux y souffrirent le martyre. La faim, la soif, les tribulations et les souffrances Nous aideront à y recueillir des palmes, et des couronnes.

Votre Province peut accomplir tout le bien moral et physique que ces peuples ont droit d’attendre de la religion Catholique, car ici l’on ne doit pas seulement former des Chrétiens; mais bien encore des hommes et des peuples, Nous devons tout créer, même des langues. Ces peuples sont en tout bien au dessous des sauvages de l’Amérique et de l’Oceanie, ici rien n’existe, même les arts les plus simples. Partout la plus grande ignorance jointe au plus grand orgueil. Pour faire quelque bien il Nous sera nécessaire d’envoyer en Europe de nombreux enfants, afin d’y faire leur éducation et ainsi changer ou modifier leur caractère vicié par la sauvagerie et en faire des hommes. Nous avons besoin de Frères industrieux sachant quelques métiers tels que tisserands, charpentiers, etc laboureurs etc et principalement de S.ts Missionnaires prèts à supporter toutes sortes de privations pour la gloire de Dieu et le salut des âmes.

Votre Province T. R.R. P.P. est à même de rendre tous ces services à cette Mission, soit en se chargeant de l’éducation des jeunes gens que Nous destinons à former avec l’aide de Dieu un Clergé indigène, soit en Nous envoyant de Vos religieux ou de ceux du tiers-Ordre que Vous avez formés en France. À ce sujet Nous Vous dirons que les quelques Prêtres indigènes de ce Vicariat sont /225/ tous membres du tiers-Ordre, Nous avons seulement ajouté à la règle des Constitutions en rapport avec ce pays. T. R.R. P.P. Nous Vous prions et Nous Vous conjurons de vouloir reprendre vos démarches auprès de [la] S. Cong. de Propagande, car de Notre côté, Nous faisons toutes les démarches nécessaires pour parvenir à ce but et Nous [ne] Nous dirigeons pas seulement au R. Procureur General, mais bien encore à [la] S. Cong. de Propagande et au Souverain Pontife lui-même et Nous avons tout lieu de croire que le Vicaire de J. C. fera justice à Notre demande et que toutes les difficultés tomberont devant Sa Volonté, et pour parvenir à ce but Nous sommes prèts à tous les sacrifices et à écarter tous les obstacles. Ainsi pour obliger [la] S. Cong. à en venir à une résolution Nous envoyons Notre démission de Vicaire Apost. de cette Mission et Nous demandons Notre rappel et Nous sommes également prèts à faire éloigner tous les Missionnaires qui pourraient être un obstacle à ce que Vous Vous chargiez de cette Mission et Nous demandons que Notre Successeur soit un religieux de [f. 2r] Votre Province, et Vous présenterez celui que Vous croirez le plus capable de remplir cette fonction.

Bien plus afin d’accélérer la solution de toutes nos demandes, Nous sommes dans l’intention d’envoyer à Rome le R. P. Léon des Avanchers qui conduira également avec lui quelques jeunes gens. Notre désir serait que Votre Province destinât un Couvent dans le Midi pour y former l’éducation de ces enfants, afin que par le bon exemple de la Vie Monastique leur coeur soit formé en même temps à la Vie Religieuse et au travail. Quant aux frais de l’éducation notre intention est de distraire de l’allocation de l’Oeuvre de la Propagation de la foi tout ce qu’il sera nécessaire, et même si Vous croyez qu’il soit convenable, [d’]acheter une petite ferme dans le voisinage d’un de Vos Couvents afin de pouvoir donner des lecons d’agriculture à ces enfants (bien entendu que cet établissement resterait propriété de cette Mission sous la direction des religieux choisis par la Province) – Ou, si Vous croyez mieux, céder un de vos Couvents – Cet établissement servirait de Séminaire aux Prêtres du tiers-Ordre qui voudraient faire partie de cette Mission.

Dans le cas où Vous ne pourriez Vous charger de l’éducation de ces jeunes gens veuillez entrer en pourparlers avec quelques établissements religieux qui voudraient remplir cet acte de charité à l’égard de cette Mission.

Vous devez donc recommencer immédiatement Vos démarches auprès de [la] S. C. de Propagande, même envoyer un de vos religieux à Rome chargé de traiter la question au nom de la Province, afin qu’à l’arrivée du P. Léon ou avant, s’il est possible, tout soit terminé et ainsi Nous préparer quelques Missionnaires et Frères et designer un local ou Couvent pour l’éducation des jeunes gens qui seront expédiés en Europe. Nous écrivons à M.r le Marquis d’Herculais à Lyon de vouloir bien Vous aider en recommandant Vos démarches à Rome auprès de ses amis.

Quant à l’avenir de cette Mission, je crois pouvoir dire que si l’on Nous envoye de bons et excellents Missionnaires (ici Nous [n’] /226/ avons pas besoin d’une grande science, mais bien de beaucoup de vertus) un grand bien est possible principalement dans ce Royaume de Kaffa où la moitié de la population, le roi compris, est de race Chrétienne Ethiopienne, bien que toute leur religion ne soit qu’un amas de superstitions qu’il Nous sera difficile de déraciner. Notre espérance est dans la jeunesse, car Nous pouvons instruire à volonté et le Prêtre est ici une personne sacrée; mais sous l’écorce du Christianisme est cache le plus grand orgueil, joint à la plus grande ignorance et corruption du coeur avec des usages diamétralement opposés à ceux des nations civilisées. Aussi la vie matérielle Nous y est très difficile et les Trap[p]istes font ripaille en comparaison de la vie misérable que Nous menons ici.

Dans les pays Gallas la question est differente, car le Galla est une race industrieuse et guerrière, où la vie matérielle est plus facile, mais ces pays n’ont aucuns gouvernements stables, ce sont partout de petites républiques où dominent les plus forts, dont les religions sont toutes des pratiques superstitieuses en l’honneur [f. 2v] du démon, le tout joint à des traditions Chrétiennes. Il y a aussi de petits gouvernements monarchiques dont les tyrans sont musulmans et où dominent les principes de cette secte anti-Chrétienne. Dans les pays Gallas républicains notre influence ne pourra s’y établir que par une grande patience; mais une fois établie ces peuples seront entre nos mains et offriront par leur caractère déterminé et guerrier de grandes espérances soit pour la civilisation soit pour la religion.

Quant à l’envoi des fonds alloués à cette Mission Nous prions le T. R. P. Provincial de vouloir bien entrer en correspondance avec Mgr. le Vicaire Apost. d’Egypte résidant à Alexandrie, car depuis la fondation de cette Mission les fonds nous sont parvenus par cette voie – Un envoi annuel de 800 à 1000 thalers Nous est plus que suffisant pour le moment et le surplus resterà en Egypte entre les mains du Vicaire Ap. pour être joint aux économies faites dans les années passées et préparer ainsi un fonds certain pour cette Mission, afin d’en assurer l’avenir dans le cas de quelques bouleversements Européens. Ainsi voyez avec Mgr. le Vic. Ap. d’Egypte s’il est plus convenable de Nous envoyer directement de France de 800 à 1000 th.[alers] dont Nous avons besoin et cela par l’entremise du Banquier Dromel de Marseille – ou envoyer l’allocation totale entre les mains de Mgr. le V. A. d’Egypte. Celui-ci se chargeant de Nous faire passer en Abyssinie, voie d’Aden, ces secours dont Nous aurons besoin, et Nous avons écrit en conséquence au nouvel Evêque successeur de Mgr. Guasco.

Dans le cas où Vous expédierez directement de France les 800 thalers adressez-les à Aden aux Missionnaires avec prióre de les faire passer à Massauah à S. Ex. Mgr. De Jacobis, V. A. d’Abyssinie – [La] S. C. de Propagande vient d’envoyer à Aden un F.[rère] Laïc de l’Ordre F. Pascal da Dumo chargé des intérêts de ces deux Vicariats.

Nous prions également le T. R. P. Provincial de vouloir bien faire des démarches auprès du Gouvernement de S. M. l’Empereur pour /227/ obtenir le libre passage, jusqu’en France sur les paquebots à vapeur, du R. P. Léon des Avanchers et des jeunes gens qu’il mènera avec lui. Nous écrivons à ce sujet à M.r Faugère sous-directeur au Ministère des Aff.[aires] étrangères.

Lors de Notre voyage en France Nous avions obtenu du Ministère Lahitte par l’entremise de M.r Faugère directeur au Ministère des Aff.[aires] étrangères un ordre signé par le Ministre de la Marine et par l’Empereur alors Président donnant [le] passage gratuit sur tous les bâtiments de l’État, à tous mes Missionnaires ou personnes de la Mission, moyennant un billet signé par Nous. Je Vous prie de réclamer une copie de cet ordre qui s’est égarée entre Nos mains et l’envoyer en Egypte à S. G. M. le V. Ap. à qui Vous adresserez également la réponse du Ministre en faveur du P. Léon des Avanchers –

T. R.R. P.P. j’espère être uni à Vos personnes et à Votre chère Province par des liens plus étroits puisque bientôt Nous ne formerons plus qu’une seule familie – Prions donc mutuellement afin que Nos voeux soient accomplis et croyez à l’affection et au dévouement de Votre

très devoué Serviteur et Confrère
† Fr: G. Massaja V.o Ap. dei Galla e Sidama

[F. 1r]

Vicariat Apostolique / des Gallas – Afrique orientale – / Aux T. R.R. P.P. Provincial et Définiteurs / de la Province des F.F. M.M. Capucins de France. //.